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Le droit de grève : tour d'horizon international

BRESIL

Le "nouveau syndicalisme" dans le secteur public

Au Brésil, la reconnaissance du droit des fonctionnaires à faire grève et à s’organiser syndicalement n’est effective que depuis l’adoption de la Constitution fédérale de 1988. Pourtant, avant cette date, l’absence de protection légale n’a pas empêché, comme nous le verrons, qu’éclatent d’innombrables grèves et que se créent des organisations à caractère syndical depuis les années 70, en même temps que les luttes des travailleurs connaissaient un vigoureux essor.

La Constitution de 1988 va donc intégrer les pratiques que les fonctionnaires avaient déjà adoptées à travers des formes organisationnelles qu’ils avaient forgées et cristallisées eux-mêmes au cours de leurs luttes, malgré l’absence de tout encadrement légal. L’imprécision de la législation sur les syndicats a permis l’intégration du secteur des fonctionnaires sans que les principes généraux et la structure du syndicalisme brésilien souffrent de modifications radicales ; elle a maintenu le même esprit qui avait inspiré sa création par le gouvernement de Vargas [1] pendant les années 30, dont le modèle corporatiste n’admettait aucune organisation de type syndical pour les fonctionnaires.

Signalons au passage qu’à l’époque de Getulio Vargas le syndicalisme officiel avait été institué pour s’opposer au mouvement ouvrier autonome. Inspiré surtout par l’anarcho-syndicalisme, ce mouvement était solidement implanté dans la classe ouvrière des principales villes brésiliennes depuis au moins le début du xxe siècle. Cherchant à récupérer cette aspiration des travailleurs à l’autonomie pour la canaliser vers une structure syndicale d’État, ce même processus isola et liquida l’anarcho-syndicalisme en officialisant et en verticalisant le syndicalisme – sans négliger, bien sûr, les moyens de répression habituels. Le corporatisme de Getulio Vargas cherche à construire, sur le plan idéologique, une nouvelle relation entre capital et travail, dans laquelle le rôle central de l’État est d’assumer la régulation et l’harmonisation des conflits de classes. Puisque l’État s’est placé au-dessus des classes, ses fonctionnaires ne peuvent plus prétendre à une forme d’organisation semblable à celle de la classe ouvrière.

Les travailleurs du secteur public ont, au maximum, le droit de créer des associations de type récréatif, mutualiste ou culturel. Et c’est précisément au sein de ces associations, en grande partie créées dans les années 60 et 70, que les fonctionnaires ont lentement et patiemment construit leurs luttes et leurs organisations de classe.

Durant les années 1978 et 1979, le mouvement syndical ressurgit sur la scène politique brésilienne, après un long silence imposé à la classe ouvrière au cours des « années de plomb ». Entre 1978 et 1979, les travailleurs du secteur public s’organisent et unifient leurs luttes dans d’amples mouvements revendicatifs presque toujours accompagnés par de longues grèves. Résultat : le nombre total de journées perdues pour faits de grève est plus important dans la fonction publique que dans le privé durant cette période.

En l’absence de toute réglementation régissant le droit de grève et les relations de travail des fonctionnaires, les affrontements avec les gouvernements des États dépendaient du degré d’organisation et de la pression exercée par les travailleurs au cours de leurs mouvements. La prise en compte des revendications et des exigences des porte-parole des grévistes (généralement les dirigeants associatifs plébiscités au cours de grandes assemblées générales) dépendait de l’ampleur du mouvement et de sa capacité à atteindre une visibilité publique et politique suffisante pour affecter la stabilité économique et institutionnelle du régime.

Le gouvernement n’étant nullement prêt à gérer cette nouvelle situation, sa riposte ne se fait guère attendre. Dès décembre 1978, il approuve une loi définissant les activités « stratégiques » (soumises au droit de réquisition, NdT) et juge que « le blocage ou la diminution du rythme normal du service public ou d’une activité stratégique définie par la loi, tout comme la paralysie organisée des services par les fonctionnaires » portent atteinte à la sécurité nationale et sont considérées comme des délits. Cette loi permet d’appliquer au secteur public des dispositions restrictives déjà à l’œuvre dans le privé. La grève des fonctionnaires tombe désormais sous le coup de la Loi sur la sécurité nationale, invoquée plusieurs fois à l’époque pour réprimer de grands mouvements de grève dans des secteurs très différents.

Les professeurs de l’État de São Paulo s’organisent de façon significative dès cette période. Fondée en 1949, l’Association des professeurs de l’enseignement public de l’État de São Paulo (l’Apeoesp) subit l’intervention de l’État en 1964, à l’exemple des principaux syndicats combatifs de la classe ouvrière brésilienne. Ce processus d’organisation lancé durant les années 70 culmine dans la formation d’un Comité de lutte, extérieur à l’Apeoesp. Ce comité développe ses activités durant toute la décennie sans que la direction de l’association officielle le découvre. En 1977, ce Comité de lutte est déjà suffisamment implanté dans tout l’État pour permettre le déclenchement d’un mouvement gréviste l’année suivante, malgré l’opposition de l’Apeoesp. Après la deuxième grève qui se déroule en 1979, le Comité de lutte dispute et gagne les élections de l’Apeoesp, en maintenant, au moins durant les premières années, une structure organisationnelle semblable à celle du Comité de lutte. Elle comprend une coordination au niveau de l’État et des noyaux dans les régions, qui se transforment ensuite en un Conseil de représentants élus directement dans les 93 sections syndicales de l’État de São Paulo. Actuellement, l’Apeoesp fait partie des principales organisations syndicales au Brésil : sur 200 000 travailleurs du secteur, elle en syndique 150 000, et son conseil de représentants comprend 568 membres.

Cette expérience des professeurs de São Paulo illustre une pratique d’auto-organisation des travailleurs très fréquente au Brésil à la fin des années 70. Durant cette période, les oppositions syndicales se développent dans les principales catégories professionnelles ; elles débordent fréquemment les dirigeants syndicaux pour lancer des luttes autonomes, caractérisées par une large participation de la base. Elles s’affrontent non seulement aux patrons et aux gouvernements des États, mais aussi aux directions des syndicats ou des associations professionnelles. Ni la forme d’organisation ni les luttes revendicatives menées par les fonctionnaires n’avaient besoin de protection légale pour se développer, parce qu’elles provenaient  surtout de la créativité des salariés en lutte.

De plus, c’est à partir de cette période et grâce à l’activité des oppositions syndicales et des associations professionnelles que l’on commence à désigner les fonctionnaires comme des « travailleurs ». En reprenant cette étiquette à leur compte, les employés du secteur public montrent qu’ils ont pris conscience de leur exploitation. Ils rompent ainsi avec une idéologie conférant à cette catégorie un statut différencié, facilité sans doute par leur proximité avec le pouvoir politique. En même temps, l’usage de cette expression leur permet de combattre la culture patrimoniale très enracinée dans leur milieu professionnel, culture du clientélisme et du népotisme, pratiques qui permettaient jusqu’alors de sélectionner et de promouvoir les cadres.

De façon générale, les travailleurs du service public ont mené leurs premières luttes à l’intérieur des associations professionnelles, les transformant de fait en syndicats, en espaces d’organisation et de revendication pour la défense de leurs intérêts de classe. Cependant, en devenant une forme d’expression importante du mouvement syndical brésilien, ces organisations ont vécu une certaine tension entre deux objectifs : devaient-elles gérer la structure organisationnelle et les relations créées dans les luttes indépendamment de toute législation antérieure ? ou devaient-elles  suivre un modèle syndical de tendance corporatiste et reconnu par l’État ? Cette tension subtile dans la première phase d’ascension des luttes des fonctionnaires s’est ensuite accrue lorsque le reflux du mouvement a eu des répercussions sur la créativité et la capacité d’auto-organisation, ouvrant la voie à l’institutionnalisation des associations.

Cette tension ne s’est pas résolue brutalement au bénéfice de l’un des modèles d’organisation syndicale : chez les fonctionnaires, on a constaté la coexistence de formes d’organisation diversifiées et la présence de différents modèles de relations de travail. Ainsi, d’un côté, une association se transforme pour la première fois, en 1987, en un syndicat des fonctionnaires de l’État fédéral de Brasilia – un an avant la promulgation de la Constitution.

Cependant, dans d’autres cas, la transformation des associations en syndicats a préservé la composante associative des fonctionnaires. Le Sindisaude (Syndicat des travailleurs de la santé de l’État de São Paulo) par exemple est parti de l’expérience existante de l’organisation des travailleurs sur leurs lieux de travail, c’est-à-dire les principaux hôpitaux publics de cet État. Après avoir fusionné différentes associations en une seule en 1985, le syndicat se crée en 1989. Comme l’affirme un dirigeant syndical, les anciennes associations « avaient une histoire sur les lieux de travail », ce qui a facilité la formation d’un syndicat. Il s’est donc agi de créer une instance de niveau supérieur à partir de l’expérience de multiples institutions de base. Et celles-ci ont continué à fonctionner comme la structure organisationnelle élémentaire sur le lieu de travail. Le problème, dans cette situation, est toujours le même : comment empêcher l’instance supérieure de s’autonomiser vis-à-vis des organisations de base et d’absorber les prérogatives décisionnelles, en laissant l’apathie s’installer parmi les travailleurs ?

La Constitution de 1998, d’une certaine façon, a également accepté le modèle syndical d’organisation des fonctionnaires et intégré le droit de grève, même si elle l’a fait en restreignant des activités considérées comme « essentielles » (c’est-à-dire stratégiques, NdT) et dont la définition allait faire l’objet de différentes réglementations. D’un point de vue plus politique, on peut se demander si la transformation des associations en syndicats n’a pas eu pour objet d’atteler le mouvement social au char de l’État.

Dans leur phase initiale, la longévité des grèves a été l’un des traits spécifiques et distinctifs des mouvements revendicatifs des fonctionnaires. Et comme il s’agissait presque toujours de grèves affectant tout un secteur d’activité, cela a considérablement  augmenté le nombre de journées de travail perdues chaque année. Mais le fait que ces grèves n’étaient pas encadrées par une structure syndicale reconnue a permis que les organisations syndicales des fonctionnaires ne soient pas, du moins dans la première phase, lors de leur création, affligées de tares corporatistes et puissent donc encourager davantage la liberté et la démocratie syndicales que le « nouveau syndicalisme » ne l’a fait.

Cette différence s’explique très simplement : les associations ont toujours reposé uniquement sur les contributions de leurs membres, contrairement aux syndicats corporatistes, financés par des contributions obligatoires. Ce système perdure encore aujourd’hui, malgré les changements politiques qui se sont produits au Brésil. De plus, les fonctionnaires ont été amenés, dans la pratique, à inventer un système de relations de travail conforme à leurs intérêts, sans avoir besoin de recourir au modèle associatif adopté à l’origine.

La rapide organisation des travailleurs du secteur public durant les années 80 a constitué, d’une certaine façon, une nouveauté sur la scène syndicale brésilienne. Au départ, les salariés de la classe moyenne représentaient les secteurs les plus avancés, avec en première ligne les enseignants, les médecins et des groupes du secteur paramédical. Ce phénomène rejoignait ainsi celui que connaissent les organisations syndicales des pays du capitalisme avancé.

Le syndicalisme du secteur public a formé, avec celui des employés de banque et des métallurgistes, l’un des trois piliers du processus qui a donné naissance à la CUT (Centrale unique des travailleurs) en 1983. Aussi bien les associations professionnelles que la centrale syndicale ont été créées sans la moindre protection légale.

En 1989, un an après la promulgation de la Constitution, le mouvement avait déjà atteint les niveaux fédéral, étatique et municipal, déclenchant 839 grèves, soit 38,2 % du total des conflits de cette année-là. Dans ce sens, on peut affirmer que la Constitution a mis en conformité les lois syndicales avec la réalité sociale des années 80.

Suite à ce processus d’organisation et de lutte des fonctionnaires, le gouvernement présente devant le Congrès, en 1989 toujours, une nouvelle loi réglementant les services ou les activités jugés « stratégiques », en imposant de nouvelles restrictions au déclenchement de grèves dans le secteur public. Les activités suivantes peuvent faire l’objet de réquisitions : 1. le traitement et la distribution des eaux ; la production et la distribution d’énergie électrique, de gaz et de combustible ; 2. l’assistance médicale et hospitalière ; 3. la distribution et la commercialisation de médicaments et d’aliments ; 4. les activités funéraires ; 5. les transports collectifs ; 6. le ramassage et le traitement des déchets et des ordures ; 7. les télécommunications ; 8. la surveillance, l’utilisation et le contrôle des substances radioactives, des équipements et  matériaux nucléaires ; 9. le traitement de données liées aux services qui font l’objet de réquisitions ; 10. le contrôle aérien ; 11. les opérations de compensation bancaire.

Cela n’a pas empêché la syndicalisation des fonctionnaires de se poursuivre durant les années 90, bien que cette époque ait aussi été celle où  les politiques d’ajustement structurel sont devenues visibles en Amérique latine. Certes, l’application des politiques néo-libérales a rendu plus évident le reflux des luttes syndicales au Brésil ; mais, en même temps, plus de 1 200 syndicats de fonctionnaires se créent entre 1990 et 1996 – sur les 3 594 syndicats nés à cette époque. Avec de tels chiffres on ne s’étonnera pas qu’il existe aujourd’hui plus de 15 000 syndicats au Brésil.

La seconde phase du mouvement des fonctionnaires s’étend des années 90 à nos jours, période durant laquelle les politiques néo-libérales intensifient la privatisation des entreprises publiques. Bien que beaucoup de ces entreprises fussent déjà gérées selon les intérêts du capital privé, national et/ou international, ou peut-être même à cause de cette réalité, la transformation de l’actionnariat a permis d’harmoniser la forme juridique de la propriété des entreprises  avec le mode de gestion effectif auquel elles étaient soumises. Ce processus a donc accéléré la prolétarisation des fonctionnaires et la précarisation des relations de travail, qui dépendent de plus en plus des critères de productivité du secteur privé.

Cette nouvelle situation révèle aussi certaines des limites de l’organisation des fonctionnaires, comme dans le cas des secteurs des entreprises publiques qui ont fait l’objet d’une terceirização [2]. L’expérience de la Poste l’illustre bien. La terceirização engagée à travers la franchisation des services postaux a augmenté d’un tiers le nombre de travailleurs impliqués dans des activités liées au courrier, et ceux-ci travaillent désormais dans des conditions bien pires qu’auparavant. De plus, jusqu’à une période récente, le Syndicat des travailleurs des postes ne proposait à ces terceirizados aucune politique qui les rapproche des salariés de leur secteur d’activité, refusant même de les organiser pour lutter contre leurs patrons privés. Farouchement opposés à l’externalisation des activités postales, les syndicats furent incapables d’unifier la lutte des terceirizados.

Dans les milieux syndicaux, on a toujours critiqué le corporatisme du syndicalisme de la fonction publique, sa séparation et son absence d’articulation par rapport aux luttes du secteur privé. Mais le traitement des terceirizados montre bien l’aveuglement que peut produire le modèle syndical et souligne les barrières créées par les questions de statut, barrières qui subsistent encore entre les différentes catégories de travailleurs.

Cela ne signifie pas que, entre eux, les ouvriers n’ont pas cherché à créer des formes de lutte politique plus unifiées. Au cours de leur processus de structuration syndicale, les fonctionnaires ont créé en 1990 la Confédération des travailleurs du service public fédéral, la Condsef, qui regroupe actuellement 37 syndicats affiliés et environ 500 000 membres.

Dans le même sens, les fonctionnaires ont créé une Coordination des associations de fonctionnaires fédéraux, responsable des grandes mobilisations telles que la grève unitaire de 2002, qui a concerné la santé, la Sécurité sociale, l’administration fiscale fédérale et les professeurs dépendant du gouvernement fédéral. En même temps, durant les années 90, le nombre des personnels du secteur public engagés dans des grèves ou des mouvements a augmenté. En dehors des secteurs plus traditionnels, des mouvements inédits se sont produits chez les fonctionnaires fédéraux des impôts, les policiers fédéraux, les juges, les gardiens de prison, les policiers civils et militaires.

Parmi certains mouvements marquants de cette période, signalons : la grève des ouvriers du pétrole en 1995, réprimée de façon particulièrement brutale ; les 100 jours de grève en 1988 des professeurs universitaires dépendant du gouvernement fédéral ; les 50 jours de grève des professeurs de l’État de São Paulo ; et la grève des services de sécurité publique, incluant des policiers civils et militaires.

En riposte à ces mouvements, le gouvernement a soumis au Congrès, en janvier 2002, un projet de loi réglementant l’exercice du droit de grève dans la fonction publique. Bien que ce projet n’ait jamais été voté, son contenu révèle que, si on l’appliquait à la lettre, les fonctionnaires seraient pratiquement dans l’impossibilité de faire grève. Ce projet établit en effet que l’assemblée des salariés qui vote la grève doit rassembler aux moins les deux tiers des membres de la catégorie professionnelle concernée et que 50 % des fonctionnaires doivent rester en activité pour « garantir la continuité des services ». De plus, le projet régularise une pratique déjà suivie par le gouvernement : celui-ci suspend en effet le versement des salaires des grévistes et, si la grève est jugée illégale, il inflige des amendes très élevées aux organisations responsables du conflit.

Il nous semble que les défis actuels auxquels doivent faire face les fonctionnaires sont liés aux deux phases historiques de leurs organisations syndicales et politiques. Dans un premier temps, quand le « nouveau syndicalisme » est apparu, les associations et les syndicats avaient pour caractéristique marquante de se constituer davantage comme un mouvement que comme une institution. Ce dont témoignent une solide organisation sur les lieux de travail, le développement de formes démocratiques et une forte créativité  dans la mise sur pied de structures dynamiques destinées à faire aboutir les revendications sur les lieux de travail. Cela a correspondu au moment où les fonctionnaires ont pris conscience qu’ils étaient des travailleurs exploités, même si les liens entre leur mouvement et les luttes d’ensemble des travailleurs brésiliens sont restés très ténus.

Au cours de la seconde phase, les pôles se sont inversés, et l’institutionnalisation des pratiques syndicales s’est accrue ; l’accent s’est déplacé sur la définition des cadres légaux réglementant les relations de travail dans le secteur public. À ce moment, le mouvement d’intégration des organisations de fonctionnaires à l’intérieur de la structure syndicale contraste avec le démantèlement de l’appareil d’État et son absorption par le marché à travers les privatisations et l’externalisation d’activités jusque-là contrôlées par l’appareil d’État. Les travailleurs ne peuvent plus entretenir la moindre confusion idéologique sur leur condition d’exploités. C’est de la reconnaissance de cette condition commune que peut résulter une nouvelle articulation, encore inédite au Brésil, entre les luttes des travailleurs du secteur public et celles des autres travailleurs brésiliens

Mauricio Sarda de Faria
Traduit du brésilien par Yves Coleman


[1] Getulio Vargas (1888-1954). Procureur, député, ministre des Finances, puis gouverneur, il devient président de la République en 1930 avec les pleins pouvoirs. Il gouverne de façon dictatoriale et est renversé en 1945 pour être réélu président en 1950. Tout comme Perón, Vargas joue un rôle fondamental dans la vie politique de son pays. Et son suicide politique ne fit qu’ajouter à son statut mythique de « Père des pauvres ». Getulio Vargas a su, en bon Bonaparte, habilement utiliser à la fois les staliniens et les fascistes locaux pour ensuite s’en débarrasser respectivement en 1935 et en 1938. Il a lancé une politique d’industrialisation de son pays qui a permis d’appliquer des réformes sociales (création d’un ministère du Travail, droit de vote des femmes, journée de 8 heures), tout en encadrant les ouvriers dans des syndicats corporatistes organisés selon le modèle fasciste italien, en maintenant des bas salaires et en brisant fréquemment des grèves. Il a lancé une idéologie (le « travaillisme ») et deux partis (le Parti travailliste brésilien, populiste et de gauche, lié à l’appareil syndical ; et le Parti social-démocrate, de droite, lié à l’oligarchie rurale) qui ont pu faire croire qu’il se souciait du bien-être du peuple, tout en s’appuyant sur les cercles dirigeants de l’armée et en respectant les prérogatives économiques et sociales des grands propriétaires fonciers. Il a toujours développé une rhétorique « anti-impérialiste » tout en nouant des alliances étroites avec les États-Unis (26 000 soldats brésiliens ont participé au débarquement américain en Italie, après que le gouvernement Vargas eut mené une politique favorable à l’Axe jusqu’en 1942) et en appuyant les Américains dans toutes les institutions internationales. Vargas a su également quadriller la société brésilienne à travers toute une série de réseaux dont le Département de presse et de propagande qui imposait la censure, utilisait massivement la radio, organisait des spectacles et des manifestations, promouvait le football et la capoeira (danse-lutte inventée par les esclaves africains), etc. La figure du caudilho Vargas, qu’on le considère comme un Bonaparte ou un dictateur fasciste, n’a pas fini de hanter la scène politique brésilienne. (Pour plus d’informations, lire le numéro 64, 3e trimestre 2001, de l’excellente revue Maira.) (NdT)

[2] Terceirização : processus qui consiste pour une entreprise privée ou publique à licencier ses employés, tout en promettant de les réembaucher avec un statut de travailleurs indépendants. Ces terceirizados deviennent une main-d’œuvre corvéable à merci, dont le statut s’apparente en France au statut des travailleurs salariés à domicile et à employeurs multiples ou à celui des travailleurs indépendants. (NdT)

 

Dernière mise à jour le 10.06.2009