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Le mouvement de lutte de l’Éducation nationale de
2003 en Aquitaine
Nadine
Pourteau et Jean-Philippe Crabé
Le
mouvement du printemps 2003 a pris en Aquitaine une ampleur particulière, et a
connu un développement original : nous avons par exemple assisté à une collaboration
sans précédent avec les parents d'élèves. De même, dans les Pyrénées-Atlantiques plus spécifiquement, et dès le 18 mars, on a vu se mettre en place un fonctionnement
en assemblées générales très intéressant, qui a vite débouché sur des AG locales.
Malheureusement, ce stade n'a pas été dépassé ; dès lors, le mouvement n'a pu
s'imposer nationalement.
En
lisant l’article de Nicole Thé[i] ou celui qui se trouve sur le site de L’Oiseau tempête[ii], nous avons pu constater que vous ne disposiez que de peu d’informations sur
le développement de la grève en Aquitaine. Cet exemple est intéressant à plusieurs
titres :
–
Cette région est à l’origine de la grève reconductible, discutée le 18 mars et
effective à partir du lundi suivant, le 22 mars.
–
L’Aquitaine est région pilote pour l’application de la Loi organique relative
à la Loi de finances (LOLF). Son recteur était un militant politique de l’UMP
en mission[iii].
– Cette région n’est
pas traditionnellement à la pointe de l’agitation et connaît une misère sociale
inacceptable mais, somme toute, plutôt dans la moyenne française.
Nous
militons tous les deux à la CNT-AIT, à Pau, travaillons dans le milieu de l’enseignement
et avons activement participé à ce mouvement.
Raisons
premières du mouvement de grève
“ La
première attaque consistait en la suppression de 20 000 postes d’aides-éducateurs
(emplois-jeunes) et de 5 600 surveillants.[iv] ”
Effectivement, cette attaque a été portée en début d’année scolaire et les organisations
syndicales n’ont pas soutenu le mouvement qui s’est développé. À lire le texte,
il semble que les emplois-jeunes furent plus mobilisés que les surveillants dans
les collectifs qui se sont mis en place. Cette situation ne fut pas générale.
Les collectifs étaient des “ collectifs maîtres d’internat/surveillants d’externat
et aides éducateurs ” (MI/SE et AE). Dans les collectifs palois, basque et
bordelais, les pions étaient très bien représentés, pour ne pas dire majoritaires.
D’après les témoignages que nous avons pu recueillir, ce fut aussi le cas à Toulouse
(où le collectif était très dynamique et s’est chargé de la coordination nationale),
ainsi qu’à Marseille. Par contre, dans les Landes, parmi les éléments les plus
actifs, il y avait un bon nombre d’aides-éducateurs.
Pourquoi
la mobilisation des aides-éducateurs ne fut-elle pas plus importante ? La
raison en est assez simple. Les aides-éducateurs qui se sont mobilisés étaient
les premiers qui finiraient au chômage : pour être sûr de ne pas perdre un
centime tout en les affaiblissant, le ministère a très rapidement ponctionné leurs
jours de grève. Pour beaucoup, les difficultés financières furent un obstacle
à la poursuite de la lutte dans un mouvement qui dura d’octobre à juin.
Ce
fait n’est pas négligeable pour comprendre cette première lutte :
–
Une partie importante des gens qui se sont mobilisés étaient déjà surveillants
et ne risquaient pas de perdre leur poste. En effet, tous les surveillants déjà
stagiaires ont gardé leur statut. En partie, cette mobilisation a été altruiste
et désintéressée. Isolés dans les établissements, ces collectifs ne pouvaient
pas compter sur une mobilisation durable et massive des 20 000 aides-éducateurs.
Il fallut mobiliser les étudiants, les lycéens, des populations qui, à tort, ne
se sentaient pas forcément très concernées. Il fallut aussi s’adresser aux profs
pour leur expliquer que cette attaque en annonçait d’autres. Ce fut laborieux…
Et malgré tout, c’est ce travail indispensable qui a préparé – et même impulsé
en Aquitaine – le mouvement du printemps.
–
Par ailleurs, le “ public ” des surveillants est depuis longtemps “ encadré ”
par le SNES. Ces collectifs ont réagi face à la passivité du bureau national des
surveillants du SNES. Les rapports qu’ils ont entretenus avec les syndicats furent
plutôt tendus. Nous en voulons pour preuve la manifestation nationale qu’ils avaient
organisée en janvier : à la même heure, Force ouvrière lança sa propre manifestation
dans un autre lieu et le SNES dans un troisième.
Avec
le projet de décentralisation, preuve fut donnée que le gouvernement n’entendait
pas s’arrêter au projet d’assistant d’éducation (censé remplacer les statuts de
surveillants et d’aides-éducateurs) : le passage des personnels techniciens
et ouvriers de surface (TOS), conseillers d’orientation psychologues (CO-psy)
et médecins scolaires à la fonction publique territoriale, doublé de la réduction
des moyens, annonçaient très clairement “ la casse du service public ”.
Les enseignants ont très bien compris qu’ils seraient les prochains sur la liste.
Un
élément a beaucoup marqué les collègues en Aquitaine : c’est
l’annonce de la mise en place de lycées et collèges pilotes dans l’application
de la Loi organique relative à la loi des finances (LOLF) par le recteur de l’académie
de Bordeaux[v].
Les compétences du conseil d’administration sont élargies à la pédagogie, à la
gestion globale des moyens et des sources de financement (paiement du personnel
compris), à l’embauche et à la définition du profil des personnels[vi].
Le chef d’établissement n’est plus le président du conseil d’administration et
les chambres de commerce et d’agriculture, ainsi que les entreprises locales,
y siègent. Nous avons nous-mêmes utilisé cet argument : il fut très souvent
un élément décisif dans la prise de position des collègues en faveur de la grève.
Cet argument majeur dans nos débats n’apparaît presque pas dans ceux des autres
régions, ni même dans les textes d’analyse que nous avons pu lire jusqu’ici. Nous
avons du mal à nous en expliquer la raison. Est-ce notre statut de région pilote
qui nous a particulièrement sensibilisés à la question ? Cette explication
ne suffit pas : comment un enjeu aussi essentiel a-t-il échappé à la sagacité
de la majeure partie des militants hexagonaux ?
Manifestations
et grèves : structuration progressive du mouvement et forces en présence
Nous
sommes assez d’accord avec l’idée que le mouvement a été préparé par les collectifs
“ MI/SE et AE ”. Mais nous devons apporter des nuances sur le reste.
Si nos informations sont exactes, le mouvement de grève est parti d’Aquitaine
dès le 18 mars. La grève reconductible fut effective à partir du 22 ; la
Réunion s’est mise en grève très peu de temps après et en réaction à l’expulsion
par la force de manifestants (personnels TOS) du rectorat. L’académie de Montpellier,
le Gard, le Nord-Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis s’ajoutèrent par la suite[vii].
Notre propos n’est pas d’attribuer une quelconque paternité à qui que ce soit
et il est très probable que, dans toutes ces régions, les choses s’amorcèrent
dès le 18 mars. Mais il faut comprendre que l’Aquitaine s’est mobilisée sans attendre
un signal quelconque, or ce n’est pas une région “ où la misère sociale est
la plus criante[viii] ”,
elle n’a pas non plus été à la pointe de la lutte contre Allègre et la population
enseignante est majoritairement plus proche de la retraite que du début de carrière.
Il faut donc chercher d’autres explications, même si celles-ci ont certainement
été prépondérantes dans certains départements.
Historique
du mouvement en Aquitaine
Les
journées de grève de décembre et janvier ont été marquées par un fort mécontentement
des grévistes à l’encontre des “ journées d’action ”. Depuis plusieurs
années déjà , les critiques vont dans ce sens : “ Une journée
de grève, ça ne sert à rien ”, “ On nous trimballe ”, “ On
nous dit de faire grève et puis, après, plus rien ”… L’opinion majoritaire
s’oriente vers une grève reconductible. Il est vrai qu’il faut remonter au début
des années 90 pour trouver une négociation positive après une grève d’un jour…
Dès
janvier, les tracts de la CNT-AIT[ix] appelant à une grève reconductible sont accueillis avec sympathie. Début mars,
le SNES- Aquitaine tient un congrès pour, entre autres choses, préparer le congrès
national. À cette occasion, une motion est votée qui appelle toutes les sections
locales à profiter de la journée du 18 mars pour faire des assemblées d’établissement
en vue d’une grève reconductible sur la DGH[x],
la LOLF, la loi de décentralisation, etc.
Pourquoi
une telle position ?
–
La région Aquitaine est région pilote pour la LOLF. La DGH est catastrophique,
le recteur méprise les représentants syndicaux et annonce qu’il est favorable
à la suppression des commissions paritaires dans le mouvement intra[xi] et à la fermeture du mouvement pour plusieurs matières dans certains départements,
afin d’imposer aux arrivants et aux titulaires remplaçants des postes en Dordogne.
Tous ces points sont en mesure de faire réagir les militants du SNES. Il convient
de souligner que les deux derniers prennent un caractère tout à fait particulier
lorsque l’on connaît la culture syndicale dans l’Éducation nationale. La “ logique
de clientélisme ” est intimement liée aux mouvements d’affectations et aux
commissions paritaires. La capacité du SNES à faire en sorte que le mouvement
se déroule à peu près équitablement fait sa force et sa réputation : perdre
cela et se voir imposer des mesures arbitraires est inacceptable pour cette organisation
(comme pour la plupart des syndicats de l’enseignement). À côté des militants
préoccupés par les attaques générales, il est fort probable que d’autres, dans
des logiques de sauvegarde de l’appareil, aient aussi vu la nécessité de réagir
avant d’être affaiblis (voire les deux à la fois).
–
Le congrès régional du SNES accueille les représentants des sections de tous les
établissements. Le mécontentement latent dans le milieu enseignant transparaît
certainement ici.
–
Il semble qu’une manœuvre politique interne pour remettre en place des militants
communistes à la tête des secrétariats départementaux et régionaux du SNES, en
accusant ceux existant de lancer les grèves à la légère, n’est pas à exclure[xii].
Ce ne serait pas la première fois que les communistes sacrifient une lutte pour
contrôler un appareil syndical.
Avant la manifestation du 18 mars à Pau,
l’intersyndicale organise une assemblée générale pour le traditionnel exposé des
motifs de grèves et des perspectives fait par les dirigeants syndicaux. À cette
occasion, le collectif des “ MI/SE et AE du Béarn ” s’exprime.
S’ensuit une série d’interventions animées qui dénoncent pêle-mêle : les
journées d’action, le manque de solidarité envers les MI/SE et AE, la politique
du gouvernement et des appels à une grève reconductible. Le président de séance
(FSU) désigné par l’intersyndicale met fin au débat sans qu’aucune décision soit
prise. Tollé général, la CNT-AIT annonce qu’elle a réservé la salle pour 14 heures
et invite tout le monde à y venir. Dans un revirement dont la rapidité restera
à jamais gravée dans les annales de l’humour palois, l’intersyndicale s’approprie
l’initiative devant la manifestation. À cette assemblée à l’affluence record (plus
de 200 personnes, les autres dans le couloir), le principe de faire voter la grève
reconductible dans tous les établissements est voté.
Notons que la position du SNES n’a pas
été suivie par la FSU, ni même par l’ensemble des militants de ce syndicat. Lors
de cette assemblée générale du 18 mars, si les membres du collectifs des MI/SE
et AE et les militants de la CNT-AIT n’étaient pas intervenus, il n’y aurait certainement
pas eu de rendez-vous l’après-midi. Or la dynamique qui a permis la tenue d’AG
d’établissements vient des décisions collectives prises l’après-midi. Ces interventions
ont eu beaucoup d’échos car la majorité des grévistes présents à cette AG d’avant
manifestation, qu’ils soient non-syndiqués ou syndiqués, militants ou simples
adhérents, voulaient en découdre avec le gouvernement. La FSU ne fut pas l’unique
fédération en proie à des contradictions internes. La direction régionale du SGEN-CFDT
se positionna contre le mouvement de grève tandis que la direction départementale
signait un appel intersyndical à la grève reconductible dès la première semaine.
Devant la colère de ses militants, le secrétariat régional dut, par la suite,
rejoindre la grève. L’appareil du syndicat des enseignants (UNSA) connut les mêmes
contradictions, mais à l’inverse : dans les Pyrénées-Atlantiques, un référendum
plus ou moins fumeux donna un vote contre la grève en début de mouvement, mais,
finalement, ce syndicat a fini par rejoindre le mouvement à son tour. Le secrétariat
régional de ce syndicat avait, quant à lui, signé le premier appel à la grève
reconductible. Toutes ces indications témoignent de la confusion qui régna longtemps
dans les milieux militants de ces organisations. Face à une situation nouvelle
où l’administration n’accepte plus le jeu de la cogestion, “ coincées ”
entre de vieux réflexes d’opposition aux mouvements spontanés et une base beaucoup
plus radicale, les directions syndicales ont tergiversé.
Assemblées générales, revendications
et stratégies
D’aucuns regretteront le tour de passe-passe
de l’intersyndicale des Pyrénées-Atlantiques, qui s’est imposée comme l’annonciatrice
de l’assemblée générale de l’après-midi après avoir fait tout ce qu’elle a pu
pour l’éviter. Il est évident que cette manœuvre était une façon de rester dans
la course, pour les syndicats. Mais elle résulte aussi des dissensions existant
dans ces mêmes syndicats : certains de leurs membres étaient partisans de
la reconduction de la grève quand d’autres y étaient hostiles. Sans compter les
rivalités internes[xiii].
Il est évident que, dès lors, il plana
une grande ambiguïté sur le caractère décisionnel des assemblées qui se sont tenues.
Dans la fièvre de ce début de grève,
il était difficile de nous attarder sur des règles de fonctionnement. Les interventions
de ce type eussent été réduites au rang des mesquines chamailleries d’appareils
syndicaux. Du coup, la distribution de la parole était maîtrisée par une personne
influente de l’intersyndicale. Sa position insidieusement dominante lui permit
d’orienter les débats en permanence. D’autre part, les décisions prises en AG
n’étaient pas votées formellement, façon habile de laisser dans le flou l’épineuse
question de savoir qui décide : est-ce l’AG ? l’intersyndicale ?
les deux ? Pour parfaire l’ambiguïté, les décisions prises en AG n’ont jamais
été contestées par qui que ce soit…
Ces assemblées furent néanmoins le moteur
du mouvement de grève reconductible car elles permirent aux grévistes les plus
motivés de conserver un contact direct et d’éviter ainsi l’isolement. La multiplication
de ces assemblées générales en témoigne. Au début du mouvement, il y avait une
assemblée qui se réunissait à Pau (préfecture) et une autre à Bayonne (deuxième
centre urbain du département). Par la suite, et pour organiser les contacts et
les actions concrètes, nous vîmes surgir en Béarn et dans le Pays basque intérieur
d’autres assemblées à une échelle plus réduite et qui gardèrent le contact avec
l’AG paloise. Ainsi à Oloron-Sainte-Marie (9 000 habitants), à Mourenx et
à Mauléon (5 000 habitants chacun), dans le Béarn nord (où il n’y a que des
villages), autour de Morlaas et dans la plaine de Nay. La conséquence directe
de ce phénomène fut la multiplication des manifestations, des occupations d’écoles
et de collèges, la tenue, partout dans le département, de réunions d’information
en direction des parents d’élèves.
Jusque-là, un a priori très ancien était
communément admis dans le milieu enseignant : “ Les parents d’élèves
sont contre nous lorsque nous faisons grève. ” Il est vrai que le caractère
longtemps corporatiste des luttes enseignantes a eu un effet répulsif auprès de
parents d’élèves qui se trouvaient souvent dans une situation sociale bien plus
difficile. Ce mouvement a fait tomber pas mal de barrières. C’est que les personnels
de l’Éducation ne se sont pas battus pour de simples intérêts de corporation,
l’enjeu concerne aussi les parents. Pourtant, les premiers temps, beaucoup de
grévistes hésitaient à aller vers les parents. L’appui de la FCPE 64[xiv] au mouvement de grève fut décisif dans le changement d’attitude des enseignants,
car les militants de cette fédération ont pris part à l’organisation des réunions
d’information. Devant le succès obtenu par les premières réunions, celles-ci se
sont multipliées et eurent des conséquences très importantes sur le mouvement.
Non seulement les salles étaient combles mais, une fois les enjeux exposés, la
très grande majorité des parents présents n’avaient plus qu’une question :
“ Comment pouvons-nous vous aider ? ”[xv] Ainsi les parents d’élèves organisèrent-ils des occupations bloquant écoles et
collèges (afin de relayer les journées de grève), des journées “ école morte ”
(en gardant les enfants chez eux) et des manifestations le samedi qui connurent
un très grand succès[xvi].
Ça
se complique...
Il faudra attendre 49 journées
de lutte avant d’avoir un relais national appelant à la grève reconductible dans
l’Éducation. Force est de constater que l’information n’a pas circulé comme elle
aurait dû. Les grandes centrales syndicales n’ont pas été le relais du mouvement.
Les liens directs entre enseignants d’une région à l’autre et les liens sur Internet
(En colère !, Réseau des bahuts…) l’ont été davantage. Lorsque, le 6 mai,
l’intersyndicale lance un appel national à la grève, celle-ci est déjà installée
de fait dans la plupart des régions. Mais la situation n’était plus la même.
Le 18 mars, un mouvement national de
l’Éducation déstabilisant le ministère était envisageable, tandis que le 6 mai,
le ministère n’avait plus qu’à faire traîner jusqu’aux examens. À moins que le
gouvernement ne fût obligé de démissionner devant une grève générale interprofessionnelle…
Le mouvement de l’Éducation était alors condamné à lier sa destinée à celui sur
les retraites.
Cette situation n’était pas pour déplaire
aux militants SNUIPP de l’École émancipée. Ceux-ci jouent depuis quelque temps
la carte de “ champion ” des relations interprofessionnelles[xvii].
Dès le 18 mars, leur objectif a été d’imposer la question des retraites en tête
des revendications. Pourtant, la majorité des enseignants, notamment du premier
degré, n’étaient pas favorables à cette idée. Non pas qu’ils ne voulaient pas
se mobiliser sur les retraites, ils l’ont fait par la suite, mais ils redoutaient
que la menace sur l’avenir de “ l’école pour tous ” soit négligée. C’est
bien cette menace de voir apparaître des écoles pour riches et des écoles poubelles
qui a le plus touché les collègues. Attendre le mouvement sur les retraites, c’était
aussi miser sur un avenir hypothétique et repousser l’issue de la lutte à juin...
Et puis la méthode employée n’a pas plu : les grévistes, mobilisés sur le
problème des MI/SE et AE, la décentralisation et la LOLF, ont eu l’impression
qu’on essayait de les récupérer pour une autre cause sans leur demander leur avis.
Et pourtant pas un ne vint remettre en cause la nécessité de se battre aussi sur
les retraites…
Devant la situation nouvelle, les assemblées
de l’Éducation cédèrent le pas à des assemblées interprofessionnelles beaucoup
plus verrouillées par l’intersyndicale interprofessionnelle[xviii].
Elles eurent toutefois le mérite d’exister et de permettre aux grévistes de se
rencontrer. Des actions interprofessionnelles en ont découlé, ainsi que des manifestations
monstres tous les deux jours[xix].
Impossible, cependant, d’arriver au principe d’une grève générale interprofessionnelle
sans mot d’ordre national…
Les chiffres des mobilisations paloises,
donnés par l’intersyndicale, étaient étonnamment bas, comme celui de la manifestation
nationale du 25 mai. La suite, nous la connaissons tous.
Dans l’Éducation nationale, la mobilisation
reste importante en juin, même si beaucoup alternent journées de travail et de
grève. Se pose alors le problème du bac. Un bon nombre de grévistes semblaient
plutôt motivés par la perspective d’une grève des examens – certains allant
même jusqu’à proposer un sabotage positif (surnotation systématique des copies).
Mais l’intersyndicale, en annonçant qu’elle ne pousserait pas les enseignants
à la faute professionnelle, a stoppé cet élan. Elle ramenait ainsi sur le devant
de la scène un vieux tabou très ancré dans la profession : enfreindre la
loi. Au-delà de ses conséquences directes sur le mouvement de grève, cette attitude
est un terrible aveu d’impuissance pour les syndicats qui démissionnent de leur
rôle de soutien juridique. Ainsi, rien ne serait possible en dehors du strictement
légal, les perspectives de lutte s’en trouvent considérablement amoindries. C’est
vite oublier que ce qui est légal aujourd’hui dans l’action syndicale a été arraché
par des luttes illégales du passé.
À Pau comme dans beaucoup d’endroits,
un petit noyau continua à se retrouver pendant le mois de juillet et le mois d’août
pour organiser des actions (sur le Tour de France notamment) et en soutien avec
les intermittents du spectacle.
Les limites du mouvement
Les
assemblées générales ont permis la multiplication des initiatives, le décloisonnement
des individus et une dynamique sans précédent pour le secteur de l’éducation en
Aquitaine. Mais, dès le départ, ces AG connaissaient de trop grandes limites :
1)Le
revirement habile de l’intersyndicale n’a pas permis de clarifier la question
de la prise de décision et des mandats.
2)L’AG paloise a été la plus dynamique et la plus indépendante d’Aquitaine,
mais elle a souffert d’un trop grand isolement. Le 18, la stratégie adoptée
fut de demander un positionnement clair sur le principe de la grève reconductible,
et à la condition d’un mot d’ordre aquitain. L’objectif étant d’obliger ainsi
l’intersyndicale à lancer cet appel, contrainte par un flot de réponses positives.
Mais c’était aussi s’en remettre à l’intersyndicale, lui abandonner le monopole
des liens aux niveaux régional et national.
3)La
stratégie qui consistait à se mettre en grève en Aquitaine pour créer un effet
“ boule de neige ” dans les autres régions, et imposer une grève
nationale, a fonctionné, mais il a fallu beaucoup de temps. Nous avons mal apprécié
cette dimension qui a bouleversé les données du problème.
4)Une
fois le mouvement enclenché, la position de l’École émancipée, qui voulait se
servir de ce mouvement spécifique pour développer la lutte contre la loi Fillon,
a également montré ses limites, comme nous le craignions. Certes, le mouvement
de l’Éducation est venu jouer les perturbateurs dans un plan bien établi[xx].
Mais, malgré l’entourloupe de la CFDT, la direction de la CGT n’a pas joué la
carte de la grève reconductible, et ce malgré une forte opposition interne. Les
liens interprofessionnels qui ont pu se créer à la base n’ont pas permis de déclencher
une grève générale sans les directions syndicales, et la FSU n’a pas joué le rôle
catalyseur et avant-gardiste que voulait lui conférer l’École émancipée :
au contraire, elle est restée très timorée… Par ailleurs, la CGT a semblé plutôt
refroidie sur l’éventualité de poursuivre dans la voie d’un rapprochement interprofessionnel.
Une précision s’impose sur la journée
du 18 mars. Lors de l’assemblée de l’après-midi, nous avons souligné, avec quelques
autres, le revirement de l’intersyndicale et rappelé comment devait fonctionner
une AG, mais sans aller jusqu’à la rupture, pour plusieurs raisons :
1)Un
clash aurait tué le mouvement dans l’œuf. Parmi les grévistes les plus motivés,
un bon nombre étaient syndiqués dans des organisations appartenant à l’intersyndicale,
et ils étaient ravis de voir celle-ci se rallier au mouvement. À nous alors l’éternelle
image des “ anars ” qui se limitent au rôle d’observateurs critiques,
incapables d’une quelconque proposition constructive.
2)C’est
la première fois qu’une assemblée échappait au contrôle de l’intersyndicale, la
majorité des gens étaient ravis qu’elle ait lieu, sans en voir les déficiences.
3) La
préoccupation première de l’immense majorité des participants était de savoir
ce que nous allions faire. Les autres sujets de discussion ne les intéressaient
pas.
4) Une
AG qui aurait refusé la présence de l’intersyndicale n’aurait plus été soutenue
que par la CNT-AIT. L’AG aurait alors manqué de relais dans les établissements
(et bien sûr dans la presse) pour faire connaître les AG et leurs décisions. Et
certains, dans l’intersyndicale, attendaient le moindre prétexte pour partir.
5) Notre
objectif n’est pas d’exclure les autres syndicats mais de faire en sorte que tout
le monde accepte (bon gré mal gré) un fonctionnement véritablement autogéré. Pour
cela, il est essentiel que ce principe soit accepté par la majorité des grévistes,
syndiqués ou non syndiqués, et quel que soit le syndicat. Et nous pouvons constater
que, dans la lutte, l’étiquette compte peu, et ceux qui se révèlent les plus radicaux
ne sont pas forcément ceux que l’on attendait au départ.
Les grévistes ont donc opté pour la position
suivante : l’AG prend les décisions et marche main dans la main avec l’intersyndicale,
qui fait partie intégrante de la lutte. Nous avons accepté ce compromis car c’était
la seule voie qui permettait de poursuivre la lutte sans renoncer aux assemblées
générales. Bien sûr, nous n’avons eu de cesse d’inciter à une meilleure structuration
de l’AG. Nous avons dénoncé le peu d’entrain des directions nationales, et appuyé
la création d’AG à d’autres niveaux que celui de Pau. Malheureusement, si des
AG de zone sont bien apparues, nous ne sommes pas parvenus à déceler un projet
sérieux au niveau régional et au niveau national.
Quand nous parlons de projet sérieux,
il faut comprendre : des contacts avec d’autres AG ayant les mêmes aspirations.
Nous aurions très bien pu faire le forcing et demander à ce que l’on envoie des
mandatés à la coordination nationale, mais nous avons estimé que les garanties
de sérieux n’étaient pas réunies. Les magouilles de Lutte ouvrière, imposant le
principe d’une voix par présent et non d’une voix par AG de département représentée,
sont venues confirmer nos craintes. Il faut d’ailleurs dénoncer avec la plus grande
fermeté cette attitude de LO, qui fait le jeu des briseurs de grèves et des directions
syndicales. Lorsque nous démontrons à la majorité des grévistes qu’ils ne peuvent
pas faire confiance à l’intersyndicale pour porter leur volonté, c’est une désillusion.
Il est alors essentiel de proposer une alternative à cette forme d’organisation
de la lutte. Mais, si le comité de grève, ou la coordination nationale, que nous
proposons se comportent en voyous, alors, nous contribuons à rompre la confiance,
à fabriquer des résignés, écœurés à l’avance par toute idée de lutte.
Résultat : notre action n’a eu que
des effets très limités. Bien sûr, le fonctionnement en AG, même imparfait, a
permis une plus grande autonomie des personnels en lutte qu’à l’habitude. Nul
doute non plus que l’attachement à cette forme d’organisation s’est enraciné et
qu’il pose les jalons de progrès futurs à l’échelle départementale. Mais le problème
fondamental que nous n’arrivons pas à résoudre est celui de l’isolement. La question
reste entière : nous constatons, depuis un bon moment, le développement de
prises d’initiative à la base, et même d’expériences encourageantes d’assemblées
générales au niveau local, départemental mais trop rarement régional et national,
mais comment permettre une organisation des luttes véritablement autogérée au
niveau national ?
À notre sens, les libertaires, quelles
que soient les tendances, devraient réfléchir – avec toutes les personnes
intéressées – aux moyens que nous pourrions mettre en place pour favoriser
les contacts entre les assemblées générales des différentes régions, et étudier
la mise en place d’un service sanitaire prêt à l’emploi dès qu’un
mouvement se profile.
[i] Nicole Thé, “ Retour sur une longue saison de luttes ”, La Question
sociale n° 1, printemps-été 2004.
[ii] “ Modeste rapport pour comprendre l’actuelle position avancée du mouvement
enseignant ”, entretien avec Daniel Aiache du 19 juin 2003, texte diffusé
en juin 2003 et publié sur le site de L’Oiseau-tempête, http://oiseautempete.internetdown.org
[iii] Patrick Gérard, ancien maire de Colombes, est à l’origine du statut d’“ assistant
d’éducation ”.
[iv] Cf. “ Modeste rapport pour comprendre l’actuelle position avancée du mouvement
enseignant ” , article cité.
[v] La LOLF doit rentrer en vigueur en 2005 et a été votée en août 2000 (ancienne
majorité) par l’ensemble des groupes parlementaires…
[vi] Dans les Pyrénées-Atlantiques, il existe un lycée et un collège pilotes à Nay
et à Pau.
[vii] Le réseau En colère ! sur le Net a suivi l’évolution jour après jour, ses
numéros sont facilement consultables.
[viii] Cf. “ Modeste rapport pour comprendre l’actuelle position avancée du mouvement
enseignant ”, article cité.
[ix] Tract distribué à la manifestation du 25 janvier 2003 à Pau, “ Janvier dans
la rue, février dans… ”.
[x] “ Dotation globale horaires ” qui comprend les heures postes et les
heures supplémentaires.
[xi] Répartition des postes selon un barème à l’intérieur de l’académie.
[xii] Les militants communistes semblent avoir poussé à la grève dans un premier temps,
pour ne pas y participer ensuite.
[xiii] Les “ débats ” animés le matin par le secrétaire de la FSU le furent
dès lors par la secrétaire-adjointe briguant son poste, de tendance École émancipée
et membre du bureau national du SNUIPP. Elle s’est imposée comme interlocutrice
privilégiée entre l’AG et l’intersyndicale. Nous verrons par la suite qu’elle
œuvre aussi pour devenir le lien indispensable entre l’intersyndicale interprofessionnelle
et le mouvement de l’Éducation.
[xiv] Il faut souligner que la position de la FCPE des Pyrénées-Atlantiques est beaucoup
plus radicale que celle de la FCPE nationale, ce qui lui valut quelques remontrances.
Ce fait est d’autant plus important qu’il ne s’agit pas de la position d’un bureau
“ gauchiste ” de trois personnes qui aurait investi une coquille vide
mais d’une position partagée par la grande majorité des militants qui animent
cette fédération.
[xv] On nous a demandé plusieurs fois d’intervenir dans des réunions d’information
pour les parents d’élèves. À Oloron-Sainte-Marie (9 000 habitants), une première
réunion a été organisée dans une salle contenant 250 places, tout le monde n’a
pas pu rentrer dans la salle. Une seconde réunion fut organisée et, à nouveau,
200 personnes répondirent à l’invitation. À Mauléon (5 000 habitants), une
réunion de 150 personnes eut lieu. Tous les échos que nous avons pu recueillir
sur ces réunions traduisaient cette même réalité.
[xvi] Les journaux locaux étaient constellés de comptes rendus d’occupations d’écoles,
les manifestations du samedi réunirent plus de 5 000 personnes (ce qui est
un beau succès pour notre département) et étaient composées majoritairement de
parents d’élèves (les personnels en grève saturaient un peu à raison de deux à
trois manifestations par semaine).
[xvii] Cf. “ Unité syndicale, travaillons ensemble à la transformation sociale ! ”
dans le numéro spécial congrès de “ l’École émancipée-SNUIPP ”, octobre
2001 et, sur le site de l’École émancipée, in : “ Lente
mise en place de confrontations intersyndicales ” ou encore in :
“ Construire un autre monde, avec une FSU à l’offensive ” (textes
de préparation au congrès de la FSU de février 2004).
[xviii] Les assemblées générales de zones d’Oloron-Sainte-Marie et Mourenx ont perduré
en s’élargissant aux autres professions.
[xix] La mobilisation alla jusqu’à une manifestation de 25 000 personnes à Pau
(alors qu’une autre manifestation avait lieu à Bayonne), c’est la plus grosse
manifestation qu’il y ait eu à Pau depuis la Libération. Quant aux actions menées,
ce fut le plus souvent des occupations (de la gare, du centre de tri) et des barrages
filtrants et blocages de routes (de l’aéroport, des carrefours les plus importants).
À noter, une manifestation est entrée dans le siège du MEDEF, qui fut dévasté
et embaumé avec du gaz traçant employé dans les pétroles.
[xx] “ En janvier, ils [les syndicats CGT et la CFDT] s’étaient partagé les rôles.
Ils feraient front commun le plus longtemps possible. Et, à l’arrivée, si la CFDT
obtenait des contreparties significatives, la CGT, qui ne pouvait signer l’accord
en raison des sacrifices demandés aux fonctionnaires, aurait reconnu que la négociation
avait permis des avancées, insuffisantes mais réelles. ” In: “ CGT-CFDT :
Thibault et Chérèque se rabibochent ”, François Wenz-Dumas, Libération,
13 septembre 2003.
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