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Fonds
européens et stabilisation sociale en Espagne
La paix sociale subventionnée
Corsino
Vela
Les
fonds versés par l’Union européenne à l’État espagnol ont permis de pallier les
effets négatifs de la dérégulation du marché du travail, tout en renforçant les
dépendances clientélaires. Conjugués à la croissance de la “ production de
divertissement ”, ils ont donné naissance à un genre de “ welfare caché ” et permis
que s’instaure un consensus de fait entre partis, syndicats et organisations de
la société civile. Pourtant, les limites du succès de ce “ modèle espagnol ” de
restructuration capitaliste se font de plus en plus évidentes. D’où l’élaboration
tacite d’un nouveau pacte permettant d’aggraver les conditions d’exploitation.
L’intégration
de l’Espagne dans l’Union européenne en 1986 impliquait, de la part du nouveau
gouvernement PSOE (socialiste), la poursuite de la restructuration commencée avec
le gouvernement de l’UCD et une transformation de la structure productive espagnole
aux vastes répercussions, telles que chômage massif et désintégration sociale.
Ayant livré le marché espagnol au capital international, le pays recevrait en
échange, pour compenser les déséquilibres, un montant substantiel de l’enveloppe
européenne destinée aux nouveaux pays adhérents. Les fonds européens se convertirent
ainsi en un instrument d’amortissement des impacts négatifs de l’intégration et,
surtout, en un instrument d’articulation sociale et politique, grâce à la distribution
d’emplois, de subventions et de prébendes allouées avec l’argent de l’Europe.
On constituait ainsi de nouvelles modalités d’adhésion aux appareils politiques
et syndicaux et, dans d’autres cas, on renforçait les réseaux traditionnels du
clientélisme ; autrement dit, on jetait les bases d’une articulation sociale
qui, tout en contribuant à encourager les investissements et à transférer au capital
privé une partie des fonds reçus, permettait d’atténuer la conflictualité potentielle. ”
On
peut l’illustrer par quelques chiffres. Entre 1986 et 2003, l’État Espagnol reçut
50 milliards d’euros destinés aux infrastructures. De fait, il est le principal
bénéficiaire des aides européennes (“ fonds de cohésion ” + “ fonds structurels
” + aides à l’agriculture), dont il a absorbé 54 %, ce qui revient à 375 € per
capita. En 2002 il a reçu 15 milliards d’euros, soit 22 % de plus que l’année
précédente. Des 18 milliards d’euros attribués pour la période 2002-2006, 60 %
reviendront à l’Espagne. Quant aux “ fonds structurels ” pour la même période,
l’Espagne recevra 45 milliards d’euros, ce qui, ajouté aux “ fonds de cohésion
”, fera un total de 56,205 milliards d’euros. Autrement dit, plus de 1 % de l’augmentation
annuelle du PIB espagnol.
Des
“ fonds structurels ” que reçoit l’Espagne, 84 % sont destinés aux régions d’Objectif
1 : Andalousie, Estrémadure, Canaries, Castille-Léon, Castille-La Manche,
Galice, Asturies, Communauté valencienne, Murcie, Ceuta et Melilla. Dans l’ensemble,
cela représente 76 % de la superficie totale du pays et 58,5 % de la population.
Concrètement, en 2002 l’Espagne a reçu de l’Union européenne un montant de 8,880
milliards d’euros, équivalant à 1,29 % du PIB, tandis qu’en 2003 les fonds transférés
se sont élevés à 8,88 milliards d’euros (1,21 % du PIB). Maintenant, au vu
de ces chiffres, il faut chercher quelle est l’activité engendrée par cette crue
d’euros, et les relations sociales qui en résultent ; et nous avons là, sans
conteste, des clés qui permettent de comprendre la situation sociale. Évidemment,
la plus grande partie de cette masse de capitaux va remplir les coffres du capital
privé, par le truchement de concessions, contrats et subventions directes ou bien
de mécanismes indirects (aides à la R&D [recherche-développement ], exemptions
fiscales et de charges de sécurité sociale, aides au développement de l’emploi,
etc.), lesquels, à leur tour, renforcent la fidélité clientéliste. Sur ce point,
le cas de la Galice est exemplaire. Quelques jours après la catastrophe du Prestige, dès que furent approuvées les premières subventions, les associations de pêcheurs
commencèrent à se dissocier du mouvement de protestation, car ils gagnaient davantage
avec les allocations que leur obtenaient les caciques chargés de la gestion des
fonds publics qu’en sortant pêcher. D’où ce paradoxe : la protestation demeure
entre les mains des artistes, des écrivains et de fractions de la population urbaine
salariée et non pas de ceux qui, en principe, seraient les plus directement affectés
par la catastrophe : les pêcheurs, coquillards, etc.
Clientélisme
et tensions entre régionalismes
Une
recherche portant sur l’activité induite par les fonds européens et sur ce qui
en résulte sur le plan social serait certainement très utile pour dresser un tableau
de la situation où se trouve actuellement la société espagnole. Car, s’il y a
d’un côté une offensive contre le public et la protection sociale en général,
d’un autre côté il faut préciser l’ampleur des mesures sociales mises en œuvre
pour, justement, pallier l’aggravation des conditions sociales (Plan d’emploi
rural, allocation agraire, revenu d’insertion, allocations aux chômeurs de longue
durée, etc.), et comment toutes ces mesures contribuent à renforcer une certaine
précarisation, croissante mais supportable, du travail salarié dans ce
qu’on appelle le secteur tertiaire, par exemple, ou la création d’emplois pour
les chômeurs diplômés dans les programmes de formation, ou encore les innombrables
systèmes de bourses, projets de promotion culturelle, etc., impulsés par toutes
les instances administratives comme par les organismes privés. Tout cela va de
pair avec un phénomène d’encadrement social par le biais d’emplois salariés plus
ou moins transparents dont le financement est assuré majoritairement par les subventions
publiques, ou par les exemptions fiscales dans le cas des organismes privés. Et
c’est dans cet espace d’encadrement social qui embrasse une quantité non négligeable
de gens que se réalisent les adhésions et les alignements politiques qui caractérisent
le clientélisme d’aujourd’hui.
Les
communautés autonomes bénéficiaires des “ fonds structurels ” mentionnés plus
haut sont justement celles qui constituent le noyau dur du nationalisme espagnol,
face aux nationalismes historiques basque et catalan qui, sur la base des ressources
financières nées de la reconversion industrielle des années 60, ont produit une
reconversion relative autant de leur propre structure productive industrielle
que de leur activité en général, vers la tertiarisation et le tourisme/loisir.
À
ce niveau, il n’y a pas de différence entre le PSOE et le PP, car les présidents
socialistes des communautés autonomes, tout comme les caciques du PP (Partido
Popular) en Galice ou en Pays valencien, ont mis en place un système d’adhésions
politiques reposant sur la gestion des ressources financières provenant de l’Europe
et du fonds de compensation interterritoriale au sein de l’État espagnol.
Si,
à partir de 2007, une fois réalisées les conventions de l’Union européenne, l’Espagne
cesse de recevoir des fonds européens pour devenir un pur contribuable, on peut
comprendre la réaction des gestionnaires des communautés jusqu’alors bénéficiaires,
qui seront désormais à la recherche de dispositifs de transfert depuis les communautés
les plus riches d’Espagne,
en sorte de compenser les pertes – ou les réductions substantielles – des aides
européennes. Un affaiblissement de la structure de l’État des régions autonomes
et, plus particulièrement, du régime fiscal (compensatoire) de l’État aurait pour
les communautés un double effet négatif de diminution du revenu per capita :
quant à la pression que pourrait exercer l’État espagnol au sein de l’Europe élargie,
et quant au fonctionnement de l’État central comme agent éventuel de redistribution
du revenu national. À tout le moins, on a là un des éléments à prendre en compte
dans le contexte du débat actuel sur les nationalités et le nationalisme en Espagne.
La
gestion des ressources financières par les gouvernements autonomes constitue la
base de l’adhésion sociale qui garantit la gouvernabilité et la reconduction de
ces mêmes gestionnaires une législature après l’autre. Celui qui administre le
PER et l’allocation de chômage a le pouvoir en Andalousie et en Estrémadure, par
exemple ; c’est pourquoi le PP s’est efforcé de mettre la main sur ce dispositif
de façon à pouvoir abattre l’administration socialiste dans ces communautés. Bien
que, finalement, il lui fallut reculer ou mettre une sourdine à son gouvernement
par décrets (le decretazo) un peu avant les élections de mars 2004. Car,
tout compte fait, les affinités idéologiques et les adhésions politiques ne se
constituent pas sur le plan des idées ou des sentiments ou au niveau éthico-idéologique
des individus, mais à celui des relations socio-économiques qui conditionnent
leur vie quotidienne.
Production de divertissement et croissance
du secteur tertiaire :
un mal nécessaire
L’insertion
de l’Espagne comme pays intermédiaire dans la chaîne productive transnationale
ainsi que la spécialisation dans le tertiaire qui l’accompagne donnent naissance
à une base sociale improductive, liée à certaines sphères de ce qu’on appellerait,
en critique de l’économie politique, la production de gaspillage (la production
d’armements, mais aussi la production culturelle, les spectacles, les loisirs/tourisme,
la formation, la production induite par l’État ou les gouvernements régionaux,
etc.), base qui trouve les limites de son intervention politique justement dans
sa condition déficitaire (elle dépend de la plus-value produite) ou bien
périphérique (à bas niveau de valorisation du capital). Comme on a pu le voir
lors de la campagne contre l’invasion de l’Irak, par exemple, la capacité de provoquer
un changement socio-politique n’est pas une question purement subjective ou “
d’opinion publique ”, elle renvoie plutôt aux possibilités pratiques et concrètes
de mobilisation pour interrompre le processus d’accumulation du capital.
Plus
précisément, l’excédent transféré à la production culturelle et de divertissement
dans les pays capitalistes remplit une double fonction dans la mesure où il active
le segment de l’économie improductive (par une sorte de keynésianisme attardé),
d’une part, et, d’autre part, pour autant qu’il désamorce le potentiel de conflictualité
que pourrait entraîner le chômage massif. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre
les politiques de subventions, de programmes de protection sociale et de soutien
à la production culturelle dans les pays hégémoniques du centre capitaliste ;
autant d’expressions de ce qu’on pourrait appeler un welfare caché, car
bien que l’évolution récente du capital ruine le welfare tel qu’on l’a
connu dans les années soixante, il n’en est pas moins vrai qu’il met en place
d’autres formes de prévention et de contention de la conflictualité, qui garantissent
un bien-être relatif à la population précarisée.
(...)
Compte tenu du développement de ce qu’on appelle le secteur tertiaire dans les
pays capitalistes développés, il faut le considérer dans la double dimension de
son importance sociale et “ productive ” ; autrement dit, en tant que forme
d’encadrement d’une masse déterminée de population qui “ travaille ” dans la sphère
de la protection sociale et dans celle de la solidarité internationale, entretenant
une relation de dépendance financière avec l’État et les institutions privées
du capital (les fondations), et en tant que secteur déficitaire qui soustrait
du capital à l’investissement directement productif.
Ledit
secteur tertiaire est une sphère d’activité qui, en un sens restreint, peut être
circonscrite aux ONG impliquées dans les activités de coopération avec d’autres
pays et qui, en l’an 2000 par exemple, ont disposé d’un financement supérieur
à 87 milliards de pesetas. Maintenant, si l’on ajoute dans ce secteur tertiaire
les activités culturelles, les services d’assistance dans les pays du centre capitaliste,
la production de divertissement, les services de faible valeur ajoutée, nous avons
là un indicateur de l’aggravation du déficit public et des dépenses non
profitables pour le capital (d’où les demandes de réduction qu’avancent les entités
patronales), bien qu’en même temps – c’est là la source de son ambivalence – ce
secteur assume une fonction majeure au niveau de la reproduction sociale, outre
qu’il sert à baisser le coût des services sociaux et qu’il est un élément important
d’encadrement d’une force de travail inutilisable dans la sphère directement productive.
La
croissance du secteur tertiaire dans les pays capitalistes développés doit donc
s’entendre comme un mal nécessaire pour le capital et comme une expression du
chômage caché, pour autant qu’il fonctionne comme un palliatif de la dégradation
générale des conditions de vie de la population la moins compétitive (assistancialisme)
et comme espace d’encadrement d’une partie de la population qualifiée (techniciens,
gestionnaires, animateurs, etc.) qui trouve dans le secteur tertiaire une issue
au sous-emploi plus ou moins précarisé.
Étant
précisément un dispositif d’atténuation des déséquilibres sociaux, le secteur
tertiaire se présente comme une modalité problématique de financement de la paix
sociale, car si, d’une part, il contribue à diminuer les coûts des services d’assistance
sociale et de la production de divertissement, outre qu’il constitue une base
de fidélisation d’une masse de la population (celle qui est directement assistée
et “ l’assistante ”, qui a dans cette forme de salariat ses moyens d’existence),
pour une autre part, il ne peut éviter d’apparaître comme un facteur de dépense
sociale inefficace, puisque la part de richesses sociales qui est transférée à
ces activités aura un impact direct sur la quantité de capital accumulé. D’où
les soucis du capital privé quant au creusement du déficit…
Il
faut faire une mention spéciale pour le bénévolat ou la récupération de
la solidarité assistancielle active par le capital et par l’État, puisqu’il s’agit
d’une véritable économie réalisée sur le plan de la dépense publique, grâce à
l’apport volontaire et désintéressé de travail social non rémunéré dans le cadre
d’activités non productives ou rentables pour le capital privé. Une étude d’ATD
Quart Monde évalue entre 8 et 14 % du PIB de divers pays l’apport du travail bénévole.
Bien
que non compris dans ce qu’on appelle le secteur tertiaire, auquel ils participent
cependant indirectement, à travers les programmes de formation, et de par leur
nature propre, il y a les syndicats. Les appareils syndicaux, en tant qu’institutions
intégrées dans le système de représentation et de gestion de la force de travail,
constituent par eux mêmes une espèce d’emploi. Si on tient compte tant des professionnels
de la représentation (les bureaucrates) que des employés (les administratifs),
à combien peut-on estimer le nombre des gens qui dépendent économiquement des
syndicats ? À combien celui des bénéficiaires des prébendes qu’engendrent
les divers niveaux de représentation et qui constituent une opportunité professionnelle
pour les anciens ouvriers qui ont délaissé l’usine de production pour végéter
dans les bureaux et dans la familiarité (compadreo) avec la direction des
entreprises ? N’a-t-on pas là, en outre, un secteur social quantitativement
important, dont les intérêts économiques et professionnels dépendent directement
de l’État (par les subventions) et sont articulés sur la structure de représentation
liée à la nouvelle organisation du travail, laquelle, dominée par le capital,
découle de la restructuration productive des années 80 ? Qui pourrait s’étonner,
par conséquent, du “ consensus productif ”
et de l’alignement des syndicats majoritaires sur le front de l’ordre capitaliste.
Rénover le consensus productif et relancer les
profits du capital
S’agissant
des mécanismes et des stratégies de financement mentionnés plus haut, qui visent
à garantir la gouvernabilité et la paix sociale, on peut dire qu’on a affaire
à une espèce de pacte social tacite qui, concernant principalement le plan de
la reproduction (protection sociale, production culturelle, commerce du
divertissement, services personnels, etc.) se présente comme un facteur complémentaire
du pacte social qui entretient le consensus productif, dans la mesure où il agit
comme une contre-tendance sur la dynamique de dégradation sociale qui en résulte.
Sur ce point, le remplacement effectué dans la sphère de la représentation politique
et les changements de “ style ” du nouveau gouvernement apparu après les élections
de mars ne peuvent nous faire oublier qu’il existe, sans nul doute, une ligne
de continuité pour ce qui concerne le marché du travail. L’accélération du cycle
des affaires indique également un raccourcissement tendanciel dans le cycle d’accumulation
du capital, ce qui impose d’approfondir les réformes réalisées jusqu’ici dans
le marché du travail. Diverses instances, gouvernement, patronat et syndicats,
invoquent la nécessité d’un nouveau pacte pour la compétitivité, qui puisse garantir
un taux d’accumulation rendant les entreprises “ compétitives ”.
Les
axes principaux d’intervention sur la population sont en place depuis des années.
Ce dont il s’agit maintenant, c’est d’élargir la brèche de la flexibilité et de
la réduction des coûts liés à la gestion et à l’exploitation de la force de travail.
Autrement dit, d’augmenter les marges d’exploitation à chaque phase du cycle des
affaires, pour contrecarrer la tendance à la diminution des marges commerciales
qui naît inévitablement de l’intensification de la concurrence au niveau du marché
mondialisé. C’est ainsi, par exemple, que les syndicats UGT et CCOO ont proposé
au gouvernement catalan, en janvier de cette année, un pacte anti-crise pour améliorer
la compétitivité par une offre de “ flexibilité négociée ”. Quelques mois auparavant,
en octobre 2003, l’UGT catalane proposait la signature d’un accord cadre de dix
années pour attirer les investissements en Catalogne, en offrant de fixer un salaire
minimum entre 661 € et 840 €, selon la province, avec un calendrier flexible
pour que les entreprises puissent travailler 365 jours par an. Une telle offre
de flexibilité est parfaitement en accord avec les demandes du patronat de l’automobile,
qui en décembre 2003 réclamait la liberté de fixer les horaires ainsi que la flexibilisation
totale concernant les jours ouvrés et les congés.
Entre-temps,
la double échelle des salaires dans les entreprises (les jeunes touchent moins
que les anciens) n’a fait que s’étendre, de même que la rétribution en fonction
de la productivité. La fondation BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentina) indiquait
dans un rapport que la moitié des entreprises industrielles espagnoles utilisent
des critères variables rattachés à la production pour fixer les salaires, tandis
que 10 % font dépendre une part du salaire de l’importance de leurs bénéfices.
Deux
autres aspects des mesures prises en matière de salaires sont à signaler :
la baisse des indemnités de licenciement (avec simplification des procédures)
et la réduction des cotisations patronales à la Sécurité sociale. Le consensus
productif s’est mis en marche une fois de plus, et le secrétaire général des CCOO
(Commissions ouvrières), au cours d’une intervention de la FAES (Fondation pour
l’analyse et les études sociales), fondation du PP présidée par Aznar, s’est déclaré
prêt à discuter pour qu’une partie des excédents accumulés par la Sécurité sociale
servent à financer une baisse des charges sociales.
La
réduction des indemnités de licenciement avait déjà été signée par les syndicats
en 1997 (33 jours par année travaillée), mais le patronat réclame une nouvelle
réduction, conformément aux recommandations de l’OCDE en juillet 2004. Comme si
cela ne suffisait pas, le consensus productif du patronat et des syndicats s’est
affirmé une fois encore, avec l’acceptation de ces réductions de salaires dans
les négociations des conventions collectives, en échange de l’augmentation par
les entreprises de leurs investissements en recherche-développement-innovation.
Naturellement,
les limites de ces perspectives d’action ne se trouvent pas dans la volonté particulière
des parties prenantes du consensus productif soutenu par les forces gestionnaires
du capital et la population salariée encadrée dans les syndicats ; elles
se trouvent dans les possibilités de maintien de ce consensus productif face aux
intérêts du reste des travailleurs. Et c’est là qu’entrent en jeu les palliatifs
de la paix sociale subventionnée, dont il a été question – une paix sociale
dont le coût se fait sentir sur le déficit public et qui s’entretient par des
mécanismes monétaires assortis de dangereux effets occultes, comme c’est le cas
pour cette bombe à retardement que représente l’endettement privé, qui atteint
70 % du PIB. La politique d’argent bon marché de ces dernières années permettant
de vivre à crédit (crédit hypothécaire, crédit à la consommation, etc.) a servi
à dissimuler et à renvoyer à plus tard la diminution réelle des revenus salariaux
et de l’épargne réalisée par les travailleurs.
Certes,
l’économie politique pourrait alléguer que les marges d’intervention pour réduire
la bulle de l’endettement sont considérables ; autrement dit, dans les sociétés
opulentes du centre capitaliste qui sont les nôtres, il existe d’amples marges
de paupérisation d’une partie de la population sans que cela entraîne nécessairement
une convulsion sociale. Néanmoins, le problème est de réduire ces marges de paupérisation
sans qu’il y ait une chute de la consommation, variable fondamentale de la croissance
en économie capitaliste.
Il
est évident que la réponse ne se situe pas dans les catégories de l’économie politique
mais, justement, dans la critique pratique de l’économie politique. D’où la nécessité
de prêter une attention particulière aux mécanismes de contention mis en place
par la politique économique pour affronter, précisément, une éventuelle critique
pratique de l’économie politique. Car, en fin de compte, c’est dans les limites
matérielles de ces efforts de contention qui caractérisent les politiques socio-économiques
des gouvernements capitalistes que se manifestent les lignes de fracture et, par
suite, les possibilités réelles d’intervention visant à une transformation des
relations sociales.
(Mars-septembre 2004)
Traduit de l’espagnol par Claude Orsoni
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