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France
Les
SUD :
de nouvelles structures pour quoi faire ?
Christian
(SUD PTT), Chantal (SUD Culture), Henri (SUD Rail),
Janos (SUD Education)*
*
Débat enregistré le 21 mai 2005
Regards
croisés de membres ou anciens membres de SUD sur leur expérience
syndicale au sein de quatre SUD différents (PTT, Culture, Rail, éducation).
Des constats divers d'où se dégage pourtant une même constatation
: par choix ou pragmatisme, le souci de la consolidation tend à s'imposer,
celui de la lutte collective à se diluer.
SUD
: New Structures for What Purpose ?
Current and former members of SUD sum up
their union experience in four SUD affiliates (post office, Ministry of Culture,
Railroads, Education). From their differing assessments, a similar judgment nonetheless
emerges. Whether by choice or for pragmatic reasons, the urge to consolidate has
been gaining ground, while the impetus for collective struggle tends to get weaker.
Los
sindicatos SUD : nuevas estructuras, ¿ para qué ?
He aquí
unas miradas cruzadas de miembros o ex miembros de SUD sobre su experiencia sindical
en el seno de cuatro diferentes sindicatos SUD (Correos y Telecomunicaciones,
Cultura, Ferrocarriles, Enseñanza). Unos testimonios contrastados de los
que se desprende sin embargo una conclusión similar : sea por elección
sea por pragmatismo, la preocupación por la consolidación se va
imponiendo poco a poco al interés por la lucha colectiva.
I
SUD : nuove strutture per fare che cosa ?
Uno sguardo incrociato di militanti
o ex militanti di SUD sulla loro esperienza sindacale dentro quattro SUD diversi
(PTT, Cultura, Ferrovie, Istruzione). Constatazioni diverse da cui emerge tuttavia
una stessa diagnosi: per scelta o per pragmatismo, la preoccupazione del consolidamento
tende ad imporsi e quella della lotta collettiva a diluirsi.
Christian
: J'ai été militant de SUD PTT depuis sa création et
jusqu'en 2003. J'ai commencé à travailler aux PTT en 1972 comme
préposé au transbordement. Au bout de deux mois j'ai connu une grève,
dans le cadre de laquelle j'ai été amené à adhérer
à la CGT et en même temps à la LCR. Je suis devenu membre
du comité départemental de la CGT, mais quand ils ont appris que
j'étais aussi militant trotskiste (c'était l'époque du Programme
commun), ils m'ont écarté des réunions, des diff' de tracts,
je n'ai donc pas pu avoir le minimum d'activité syndicale. Donc au bout
d'un an et demi, avec ma cellule LCR d'Évreux, on a décidé
qu'il valait mieux que j'adhère à la CFDT, où j'avais plus
d'ouverture pour militer. Ce que j'ai fait. Et au bout de deux ans, en 1975, on
m'a proposé de devenir secrétaire départemental CFDT. J'espérais
travailler à diffuser des tracts, soutenir des grèves, etc., j'ai
donc accepté une place de demi-permanent (je ne voulais pas être
permanent pour rester auprès de mes collègues). Or je me suis retrouvé
à rédiger des tracts, à brasser de l'information, à
me rendre à la direction départementale, dans les bureaux de poste,
à participer à toutes sortes de réunions syndicales et de
commissions, mais pas à soutenir des grèves, car les grèves,
malheureusement, il n'y en avait pas beaucoup. Mon activité était
donc déjà bureaucratique, même si je ne me sentais pas bureaucrate
(j'ai quand même réussi à constituer un groupe d'opposition
dans le conseil départemental, par convergence des votes sur chaque débat
important). Deux ans plus tard, j'ai renoncé à me représenter
comme secrétaire et j'ai demandé à être muté
à Paris. Je suis rentré au PLM, le plus grand des centres de tri
(qui a compté jusqu'à 4 000 salariés et d'où est partie
la grève de 1974). C'est là qu'étaient formés les
militants staliniens CGT qui allaient ensuite prendre des responsabilités.
Et là j'ai vu ce que c'était que les stals et la bureaucratie, et
j'ai vu à l'œuvre les différents courants d'extrême gauche.
Cette fois encore, je n'ai pas pu rester longtemps à la CGT car on m'a
à nouveau repéré et tenu à l'écart, donc à
nouveau j'ai adhéré à la CFDT.
En 1988, lorsque des camarades
des centres de tri et des " camions jaunes " ont été expulsés
par la direction CFDT après une grève dure (à laquelle je
n'ai pu participer, étant alors en vacances), ils ont créé
SUD PTT et, à mon retour, j'ai choisi d'y adhérer. Je savais que
les militants LO de notre section avaient refusé d'y adhérer parce
qu'ils avaient été mis devant le fait accompli par ceux de la LCR,
mais ma réaction à ce moment-là a été de me
dire solidaire des exclus. Pourtant j'ai insisté pour dire que c'était
peut-être le moment d'engager un débat avec d'autres postiers, oppositionnels
au sein de la CGT et de FO ou inorganisés, sur la démarche préconisée
par tous les révolutionnaires mais jamais pratiquée, à savoir
un syndicat unitaire. On m'a répondu : " On verra plus tard, pour
l'instant on crée un outil. "
En fait, j'ai toujours gardé
un esprit très critique sur le fonctionnement de SUD, ce qui m'a valu des
déboires successifs, et finalement une exclusion. Cela s'est passé
en plusieurs phases. D'abord lors du congrès fédéral de SUD
PTT qui s'est tenu quelques mois après le grand mouvement de grève
de 1995, où j'avais été très actif. J'y étais
candidat à l'élection de la direction nationale, avec le soutien
de la section du PLM et du syndicat TMT des centres de tri parisiens, mais une
campagne de dénigrement a été organisée contre moi
qui m'a empêché d'être élu : on m'a accusé d'avoir
travaillé dans un centre de tri parallèle pendant le mouvement de
grève !… (En fait j'ai su que certains militants LCR ne voulaient pas de
moi à ce poste parce que j'étais à la fois " un électron
libre " et " trop politique ". Et comme à ce poste "
l'élection " est plutôt une cooptation…) Deuxième phase
: en 2000, quand je suis arrivé au bureau de poste de Paris-Louvre et que
j'ai critiqué régulièrement le fonctionnement bureaucratique
de la section. Enfin, troisième phase : lors du mouvement de 2003, lorsque
j'ai dénoncé l'absence de toute réunion de section pendant
un mois de grève et qu'un militant m'a physiquement sorti des locaux, sans
que personne ne réagisse. En fin de compte, ils m'ont rendu service, je
n'ai pas eu besoin de démissionner…
Chantal : J'ai été
membre de SUD Culture jusqu'à il y a deux ans. J'y suis arrivée
un peu par hasard, comme beaucoup. J'étais vacataire au Centre Pompidou,
où on avait monté un collectif de précaires pour l'amélioration
de nos conditions de travail et de nos droits. En 1998, le Centre a fermé
pour travaux et les 500 vacataires se sont retrouvés sans perspective de
travail. Le collectif a alors envisagé d'organiser une grève, et
a dû se tourner vers une intersyndicale CGT-CFDT pour le dépôt
d'un préavis, mais celle-ci a refusé. Les seuls soutiens que nous
avons eus sont venus de SUD Culture (qui alors n'avait pas de représentativité
au plan national et ne pouvait appeler à la grève), de la CNT et
de la Coordination des travailleurs précaires qui venait de se créer.
à travers la " bourse pour l'emploi ", dont nous avions réclamé
la mise en place au ministère, je me suis retrouvée à la
BNF, avec encore moins d'heures de travail qu'au Centre. Là, quand a démarré
la grande grève de 1998, j'ai appelé les copains de SUD Culture,
qui nous ont apporté un soutien inconditionnel. C'est comme ça que
ça a commencé.
L'aventure s'est achevée en septembre
2003, date à laquelle j'ai rendu sans regrets, et sans claquer la porte,
ma carte et mes mandats.
Henri : J'ai adhéré à
SUD Rail au moment de sa création sur Paris-SUD Est en janvier 1996, et
j'y suis encore. Je suis à la SNCF depuis 1978 (avec un intervalle entre
1980 et 1982 où je me suis trouvé insoumis au service national puis
objecteur de conscience). Au départ, j'étais membre de la CFDT Cheminots,
car en Alsace, où je me trouvais, certains de ses militants étaient
alors très impliqués dans des initiatives antinucléaires,
dans Radio Verte, etc. Je me suis ensuite transféré dans la région
de Reims, et j'ai fini par quitter la CFDT suite au mouvement des coordinations,
car ses militants non seulement n'animaient pas la grève mais s'étaient
déclarés favorables à des sanctions contre ceux qui s'y étaient
engagés, et notamment dans la coordination inter-catégories. J'ai
ensuite attendu dix ans pour me resyndiquer. En 1995, j'ai participé au
mouvement contre la réforme Juppé sur Melun, où j'ai pris
part à plus d'actions communes avec la CGT qu'avec la CFDT. Mais j'ai quand
même choisi d'adhérer à SUD Rail qui se constituait, à
cause du poids de la bureaucratie dans la CGT. Depuis j'ai eu plusieurs mandats
: délégué du personnel (seize heures de délégation
par mois) pendant cinq ans, membre du CHSCT (dix-sept heures) pendant trois ans.
Le bilan que je tire de mes dix ans de non-syndicalisation (entre 1986 et
1996) n'est pas très positif, au niveau de la lutte d'entreprise. À
la SNCF, la syndicalisation reste importante (environ 20 %), et quand on est non
syndiqué, même si on participe comme moi à toutes les grèves,
on est complètement inefficace.
Le point fort de SUD Rail, à
mes yeux, c'est la démocratie et la transparence de l'information. Au moins
pour le moment. C'est ça qui m'y a fait adhérer, même si je
ne me fais pas d'illusions sur l'outil syndical, que je considère comme
un outil parmi d'autres. Et depuis, j'ai toujours pu m'y exprimer comme je voulais.
Si on utilise les outils syndicaux non pas pour faire de la réunionite
avec les patrons mais pour faire des tournées, faire circuler l'information,
faire remonter la réalité de la boîte et finalement préparer
l'organisation de la grève (car une grève, ça se prépare),
on peut, grâce au temps syndical dont on dispose, tout faire pour se mettre
en situation de lutte. Alors qu'en tant que non syndiqué, on est condamné
à attendre que ça se mette en place.
Chantal : Je n'ai
pas la même approche. C'est vrai que je n'ai pas d'expérience syndicale
antérieure à SUD, que c'est le syndicalisme qui m'a appris que dans
les combats collectifs on est plus forts. Mais pour moi, la forme la plus forte
de la lutte, l'engagement central, c'est la grève, et c'est bien évident
que, sans les salariés en grève, les syndicats ne font pas grand-chose.
De plus, maintenant que je vis une expérience de non syndiquée
après une expérience de syndicaliste (j'avais alors des mandats),
je me rends compte que, bien qu'il soit beaucoup plus difficile de lutter quand
on est simple salarié qu'au sein d'un syndicat, je peux m'autoriser à
faire des choses que je ne pouvais pas dire et faire dans le cadre du syndicat.
Le sentiment de responsabilité que l'on a quand on a un mandat syndical
peut être paralysant. Au cours de certaines grèves, il est arrivé
que je me dise : je suis responsable syndicale, il y a un certain nombre de choses
que je ne peux pas dire par rapport à des syndicats qui ne sont pas d'accord
avec nous mais qui sont là quand même. Car à SUD Culture,
on a toujours travaillé en intersyndicale, ce qui veut dire faire avec
des syndicats institutionnels, les entraîner, quitte, à un moment
donné, à les lâcher plutôt qu'être lâchés.
Autrement dit, je n'avais pas une parole libre en assemblée générale,
j'étais tout occupée à faire de la diplomatie, en quelque
sorte : flatter les uns, réconforter les autres… Aujourd'hui je suis libre
de parole dans les AG, ce qui ne veut pas dire que je dis tout et n'importe quoi
(si je considère qu'on a besoin d'une intersyndicale, je fais attention
à ce que ça ne se casse pas la gueule), mais je peux dire un certain
nombre de choses sans qu'on me rétorque qu'étant mandatée
syndicalement, il y a des attitudes à tenir, des accords pris en intersyndicale
à respecter… Et j'ai découvert depuis que la parole du simple salarié
est précieuse et a un prix. Je ne croyais pas, en me désyndiquant,
que je serais exposée comme je le suis aujourd'hui vis-à-vis de
la direction, voire du ministère, ce qui me fait dire que cette liberté
de parole que j'ai gagnée en quittant le syndicat sert à quelque
chose.
Janos : Je suis membre de SUD Éducation depuis sa création
en 1996. Au départ j'étais militant syndical à la FEN, puis
au moment de la scission de 1992, j'ai participé en tant que délégué
à la fondation de la FSU. J'avais déjà des problèmes
avec la bureaucratie, et cela d'autant plus que je travaillais à Gennevilliers,
foyer de la bureaucratie nationale du SNUIPP (syndicat membre de la FSU). En 1995,
on a organisé un très fort mouvement sur Gennevilliers et alentour,
avec formation d'un comité de grève, qui est intervenu dans les
écoles et les grandes usines du coin et qui a obligé les syndicats
à se mettre au service de la grève. à la fin de ce mouvement,
on était nombreux à être très déçus pas
le comportement de la FSU, et, après une période de gambergement,
des contacts ont été pris pour créer un nouveau syndicat
enseignant avec des membres du SGEN Paris qui venaient d'être expulsés
de la CFDT, accusés, entre autres, d'avoir agressé Nicole Notat.
J'ai donc participé à la création de SUD Éducation,
et notamment de la section des Hauts-de-Seine. à Paris, la majorité
provenait du SGEN-CFDT, alors que dans le 92, SUD Éducation a été
formé par des militants non syndiqués ou venant de la FSU. Je l'ai
fait en espérant créer un outil syndical qui prolonge le travail
qu'on avait fait pendant la grève, qui favorise l'auto-organisation, qui
permette de garder la mémoire des luttes entre les mouvements.
Un
syndicat pour la lutte ?
Christian : Les quelques grandes grèves
que j'ai connues, celle de 1974 notamment, ont été une école
pour la démocratie syndicale et pour la lutte ouvrière, et je précise
qu'alors LO et la LCR se réclamaient du comité de grève (ils
ont même fait de la propagande en sa faveur quand il a existé en
1974) ; mais aux moments décisifs, quand il a fallu créer des comités
de grève ou prendre des initiatives, ce n'est pas eux qui l'ont fait. En
1986, ce sont des roulants CGT, dont certains étaient membres en rupture
de la LCR, et des " sédentaires " membres de LO qui ont pris
l'initiative. à ce moment-là, la direction CGT s'est opposée
à la grève et à sa généralisation. C'est une
des raisons qui expliquent pourquoi beaucoup ont quitté la CGT et sans
doute rejoint SUD à la grève de 1995. Mais en 1995 il n'y avait
pas de comité de grève, il y avait des coordinations locales. D'ailleurs,
avant même que la bataille démarre, lors d'une réunion avec
les oppositionnels de la SNCF qui avaient créé les coordinations
en 1986, on s'était demandé s'il fallait constituer des comités
de grève ou évoluer vers des coordinations. Moi-même je m'étais
dit : si je prends l'initiative d'un comité de grève, ça
va verrouiller tout de suite. Donc on a été amenés à
faire ce que Chantal a décrit. Pour pas casser la baraque, on se dit :
faisons une intersyndicale. Mais après on est verrouillés... Pour
" ne pas décourager " les militants, on choisit l'unité
syndicale, mais ce n'est qu'une unité d'appareils, bureaucratique, sans
démocratie, où l'on fait de l'interprofessionnel pour la façade,
où tout est contrôlé par les appareils - quant à l'information
concernant l'organisation de la grève, on sait ce que ça a donné...
En 1995 et en 2003, même scénario. C'est comme ça qu'en 2003
j'ai été viré, après différentes tactiques
de mise à l'écart.
À la création de SUD PTT en
1988, l'idée était de faire un syndicat sur le modèle des
coordinations de la SNCF. Mais elles ont été vite oubliées,
les coordinations… Maintenant on n'en parle presque plus. (Le seul syndicat qui
s'en est réclamé, c'est le CRC.) Dans la brochure qu'ils ont sortie
pour fêter les dix ans de SUD PTT, ils en parlent à peine, et pas
pour évoquer les luttes à venir. Jamais ils n'ont proposé
de réseau pour les coordinations, jamais ils n'ont proposé de comités
de grève, ni en 1995 ni en 2003. En 2003, alors que j'espérais qu'on
puisse relancer des coordinations (j'étais alors à la grande poste
du Louvre à Paris, où se retrouvaient pas mal d'anciens des centres
de tri), la section syndicale n'a même pas eu une réunion pendant
trois semaines ; par contre, ça manœuvrait de tous les côtés,
les militants de LO qui faisaient leur interpro avec leurs petits copains, les
militants d'autres organisations politiques moins fortes qui faisaient la leur
avec d'autres, et jamais de démocratie. Sauf à appeler " démocratie
" le simple fait de voter pour décider de la grève le lendemain
afin d'être plus nombreux à la manif - en évitant systématiquement
de critiquer les stratégies des grandes centrales syndicales bureaucratiques.
Pour
moi, la démocratie ouvrière, ça consiste à décider
comment on s'organise du début jusqu'à la fin, comment on négocie
et qui va négocier, comment va s'arrêter la grève. Comment
s'est arrêtée la grève en 1995 ? Thibault et ses petits copains
en ont décidé dans leur coin. Et qui en a tiré le bilan ?
Personne, aucun syndicat. Et même pas SUD. Lors de la rencontre de bilan
organisée avec Bourdieu, où chaque syndicat a exposé sa vision
de la grève, quand Mouriaux a présenté le mouvement 1986
comme " corporatiste ", j'ai pris la parole pour dire : vous avez du
culot d'en parler comme ça, c'était une grève contre la bureaucratie,
contre les appareils syndicaux. Et qu'a dit Annick Coupé ? Rien du tout
! " Démocratie syndicale " ? Diplomatie syndicale, tu veux dire
! On capitule devant les appareils syndicaux et politiques, et on ne pose pas
les problèmes sociaux et politiques.
Janos : Pour un certain
nombre de gens, notamment ceux qui ont fondé SUD Éducation dans
les Hauts-de-Seine, l'espoir était que SUD reflète sur le terrain
syndical l'expérience de lutte auto-organisée que l'on avait menée
ensemble. Mais on s'est vite aperçus que tout le monde n'était pas
sur la même longueur d'ondes, et même qu'il y avait une certaine résistance
à aborder ces questions, notamment chez les ex-oppositionnels de la CFDT,
même si c'étaient des combattants courageux - " On n'est pas
un syndicat de sans-papiers ", disaient-ils au moment de la lutte de Saint-Bernard.
Au bout d'un an, à notre premier congrès (Lyon, 1998), malgré
les efforts de la section des Hauts-de-Seine qui voulait que soient explicitées
les raisons de créer un nouveau syndicat plutôt que faire de l'opposition
dans ceux qui existent déjà, aucun texte de fondation n'a été
présenté. Aujourd'hui encore, il n'existe aucun texte de SUD Éducation
qui réponde à cette question. On a présenté un texte
au congrès de Roubaix, en décembre 2000, mais il n'y a pas eu de
débat. Et il n'y en a pas eu dans les dix ans de vie de SUD Éducation.
Dès
le début, au congrès de Lyon, on s'est retrouvé confrontés
à une tendance qui disait en substance : on veut jouer dans la cour des
grands. On a essayé de leur montrer les dangers de cette position, mais
sans succès. Dès le départ il y avait donc deux tendances
: l'une qui concevait le syndicat à l'image de la Commune de Paris, dans
son fonctionnement et dans ses objectifs, et l'autre qui la combattait, avec le
soutien des syndicalistes révolutionnaires du CSR (drôle d'alliance
!). Quand on a présenté une motion demandant que soit reconnu le
principe de l'assemblée générale souveraine, à laquelle
la direction du syndicat devait donc se soumettre, le syndicat parisien a menacé
de quitter la fédération. Le débat a donc été
posé dès le début dans SUD, et notamment dans SUD Éducation,
où il est allé plus loin, mais il n'a jamais été tranché.
Et le dernier congrès de Solidaires a esquivé le débat. Ce
refus de se définir comme un syndicat au service des luttes, dont le but
est l'auto-organisation, fait que je me demande si le projet SUD est encore valable.
Il s'est créé un petit appareil, parfois hargneux, qui cherche à
jouer dans la cour des grands, à être reconnu comme les " grands
" syndicats, même s'il faut pour cela éviter l'affrontement
avec les appareils syndicaux. Du coup, l'idée de rénovation sociale
qu'il y avait au départ s'est perdue en chemin. On s'est raconté
qu'il suffisait d'être radicaux, combattants, et l'on a refusé de
répondre aux questions que nous posent la société et le capitalisme
d'aujourd'hui. Voilà le résultat…
Henri : Moi, je ne suis pas
un déçu des SUD car je ne me suis jamais fait d'illusions, je ne
les ai jamais considérés comme un syndicat alternatif. C'est vrai
qu'ils se sont présentés comme un syndicat nouveau, mais cela relève
surtout de la communication. à la SNCF, j'avais connu un certain nombre
de ceux qui ont ensuite fondé SUD Rail qui avaient passé dix ans
et plus dans le combat interne à la CFDT et s'y étaient cassé
les dents, j'en avais connu aussi qui s'étaient opposés aux coordinations,
voire qui avaient sanctionné des militants pour y avoir pris part. Mais
j'y ai adhéré quand même en me disant que le fait de quitter
la CFDT les obligeait à créer un nouveau cadre qui allait permettre
à un certain nombre d'individus de s'investir à nouveau dans le
combat syndical, combat que je considère toujours important de mener. Et
à mes yeux, au bout de dix ans, il y a quelques acquis. SUD continue à
s'opposer à la politique de la SNCF. Il y a d'ailleurs des indices qui
montrent que la direction craint le potentiel qu'il représente : quand
elle sanctionne, c'est très souvent des militants SUD qu'elle vise ; il
lui arrive aussi d'interdire la distribution de certains tracts de SUD.
Mais
c'est vrai que le besoin de reconnaissance institutionnelle (et pas seulement
syndicale) devient de plus en plus évident. Les actions dures du début,
comme retarder des départs de trains pour empêcher des expulsions,
c'est fini, j'ai l'impression. Et en période électorale comme aujourd'hui,
on ne les voit pas sur le terrain, mais dans tous les meetings ils essaient de
se montrer - aux côtés du PS et du PC…
Ce qui les fait apparaître
comme radicaux, c'est peut-être le fait d'être restés des syndicalistes
" à l'ancienne ", comme il y a vingt ans : alors que le monde
syndical évolue vers la droite, que tous les autres désormais font
du syndicalisme d'accompagnement, eux restent sur une position de défense
des acquis sociaux. D'ailleurs, cette différence est visible sur le terrain
: ils consacrent plus de temps à faire des tournées et moins de
temps à faire de la réunionite avec les patrons. Il y a une grève
qui se prépare pour le 2 juin, et les SUD poussent vraiment à ce
qu'il y ait une grève reconductible.
Ce qui fait débat, c'est
la question de l'unité. C'est vrai que pour SUD, l'unité, c'est
l'unité des appareils, pas des travailleurs. Et la grande majorité
des SUD sont contre la participation des comités de grève aux négociations.
Chantal
: Sur ce plan, mon expérience est assez différente. Lors de
la dernière grève des vacataires de décembre 2004, sous l'impulsion
de SUD et de la CNT, l'intersyndicale de la BNF a continué à afficher
la volonté de faire place à un comité de grève, avec
des représentants des grévistes participant aux négociations.
Et la question de l'unité s'est aussi posée en d'autres termes :
comme la majorité des salariés, les vacataires grévistes
étaient tout à fait conscients des querelles de chapelles syndicales
et des enjeux de pouvoir qu'il y a derrière, et, alors que beaucoup n'avaient
aucune expérience de la grève, ils n'ont pas mis plus de deux jours
à comprendre le danger qu'elles représentaient pour l'issue de la
grève. Bien que saisissant tout à fait les limites du soutien de
la CGT et de la CFDT, ils considéraient qu'il fallait les embarquer dans
la grève, quitte plus tard à être lâchés ou à
les lâcher. Et si l'unité syndicale s'est brisée, c'est du
fait des syndicats les plus radicaux - FSU, SUD, CNT. Du coup, rien n'a été
obtenu, de ce point de vue-là la grève a été un échec.
Pourquoi ? En apparence, tout était réglo sur le plan de la démocratie,
mais, à y regarder d'un peu plus près, on s'apercevait que le comité
de grève, qui dans le principe était ouvert à tous, s'était
rapidement déconnecté des assemblées générales
- pas par volonté de faire les choses dans son coin, mais pour des raisons
banales " d'efficacité ". Et puis le leader de la FSU, sans avoir
l'air d'y toucher, a amené certains grévistes qui contestaient le
mode de fonctionnement du comité à partir. Une seule, au caractère
bien trempé, a osé motiver sa décision par écrit.
Quelques-uns ont essayé de la convaincre de rester ; la CNT est également
intervenue par courrier adressé à l'intersyndicale et au comité
pour rappeler que les AG restaient souveraines et que les désaccords du
comité de grève devaient leur être rapportés, mais
c'était trop tard, la grève commençait à se déliter,
pour le plus grand profit de la direction.
Concernant l'évolution de
SUD Culture : Il y a eu au départ une longue période d'élaboration
des statuts, où l'on a alors consacré la souveraineté de
l'assemblée générale plénière. Mais, fin 2002,
ces statuts ont été remaniés : le bureau national est maintenant
déconnecté de l'ensemble des militants, ce sont ses membres, supposés
représenter les adhérents, qui votent. Dans l'assemblée générale
qui a consacré ce remaniement, j'ai fait une intervention pour m'y opposer
et je n'ai été soutenue que par une seule personne - qui d'ailleurs,
en désespoir de cause, sans doute, a décidé de ne plus s'investir
que dans Solidaires… C'est à ce moment-là que j'ai perçu
à quel point SUD Culture était désormais dans une logique
d'institutionnalisation. Sur le plan national, ils ont désormais une position
tellement institutionnelle que j'ai du mal à faire la différence
entre eux et la CGT Culture - même s'ils se querellent, parce que SUD Culture
souhaite obtenir une reconnaissance le plus rapidement possible.
Paradoxalement,
ils continuent à avoir un affichage très fort au niveau des luttes
citoyennes : dans toutes les manifs, il y a quelqu'un (toujours le même)
pour porter le drapeau de SUD, et en général SUD Culture fait un
tract, qu'ils mettent ensuite sur leur site. Mais pendant qu'ils s'occupent de
ce qui se passe à l'extérieur, ils laissent en friche tout ce qui
se passe dans les établissements culturels.
Christian : Je me
souviens d'un congrès, préparé de façon démocratique,
où notre section des centres de tri de l'Ile-de-France avait présenté
plusieurs amendements, dont un sur l'abolition du salariat. Un des responsables
s'y était opposé en argumentant ainsi : " Le patronat et Pol
Pot sont eux aussi pour l'abolition du salariat. " Et pas un des militants
révolutionnaires présents n'avait moufté…
Sur la question
de l'auto-organisation et de la grève générale : en 1968,
1995 et 2003, trois moments où un processus vers la grève générale
était en cours, on a bien vu comment se sont comportés à
la fois les appareils politiques et les appareils syndicaux. Il y avait connexion,
pour dire le moins, entre les uns et les autres : entre la CGT et le PC, entre
la CFDT et le PS, entre FO et… (il y a de tout là- dedans). Et SUD ne fait
pas exception, puisque le noyau dur, pensant et organisateur est constitué
de militants LCR et de certains libertaires. Or ni en 1995 ni en 2003 ces camarades
ne se sont constitués en organisations alternatives indépendantes
des appareils, ils ont été le flanc gauche des appareils syndicaux,
qui étaient eux-mêmes le flanc gauche des appareils politiques. Et
chaque fois ils nous ont renvoyés sur les élections.
La question
des comités de grève est à mes yeux fondamentale. Comme je
constate que dans aucune organisation syndicale on ne peut développer de
façon radicale et continue ne serait-ce qu'une progagande pour les comités
de grève et une pratique d'autonomie ouvrière, j'estime que les
syndicats sont devenus de fait, avec les militants quels qu'ils soient, des flancs
gauches de l'État et des appareils politiques. C'est pourquoi je considère
à présent que c'est une erreur de militer dans les syndicats, sinon
pour constituer des réseaux contre les appareils syndicaux.
Priorité
à l'interprofessionnel ou à la lutte catégorielle ?
à
l'enracinement ou à la visibilité ?
Henri : Les pratiques
interprofessionnelles de SUD Rail, c'est très insatisfaisant, mais, comparé
aux autres syndicats, c'est énorme. Chez SUD il y a une volonté,
limitée mais réelle, d'aller dans ce sens, puisqu'il y a des militants
syndicaux qui sont dégagés pour intervenir sur les filiales et les
sous-traitants, mais ils sont si peu nombreux que ça paraît marginal.
Et le fait est que SUD a tendance à masquer sa faiblesse réelle
sur ce terrain par des effets d'affichage. Mais reconnaissons que la principale
limite, c'est qu'à la base les cheminots n'en ont rien à battre,
de l'interprofessionnel…
Chantal : À la BNF, où il y a
beaucoup de prestataires de services, le climat est différent sur ce plan
(la culture des salariés est différente sans doute, mais la proximité
physique des agents non BNF y est peut-être pour quelque chose aussi). Même
s'il n'y a pas d'intepro constituée en tant que telle, quand il y a des
grèves dans les boîtes prestataires de services, le principe de la
solidarité fonctionne, mais à la base - j'ai vécu des grèves
de solidarité avec les agents de la sécurité et avec le personnel
de ménage, auxquelles avaient appelé les sections FSU, SUD et CNT,
voire une fois CFDT. SUD Culture, en revanche, ne nous a jamais apporté
de soutien.
Christian : La fédération SUD PTT apporte
un soutien technique, matériel, réel aux luttes des sans-papiers,
des femmes, des sans-logis. Quand il y a eu l'intervention contre l'occupation
de l'église Saint-Bernard, elle a eu à l'époque un très
beau geste : elle leur a ouvert ses locaux et les a accueillis pendant plusieurs
jours. Pendant la grève des McDo, la section de la poste du Louvre a contribué
au soutien. C'est vrai que, même si à la base le principe de l'interpro
est accepté et compris, les adhérents ne s'impliquent pas toujours
de façon très active. ça reste donc limité, c'est
plus symbolique, exemplaire, que pratique, et en ce sens ça fait effectivement
partie d'une stratégie de visibilité. À la limite, plus on
régresse au niveau des luttes dans les PTT, plus certains militants en
vue, comme Aguiton, s'investissent ailleurs, où c'est médiatisé
(Attac, mouvements altermondialistes, etc.). C'est pas un reproche, c'est un constat.
Janos
: À l'origine de tous ces maux, il y a le refus de définir clairement
ce qu'on veut, et notamment comment on se positionne face à l'État.
Cette absence de clarification a des conséquences sur plusieurs questions
un peu chaudes. Avec les copains de SUD Rail, qui hébergent gentiment SUD
Éducation 92, nous avons eu plusieurs fois des discussions sur le rôle
des contrôleurs dans les transports en commun, et on a tenté de les
impliquer dans le RATP, le réseau pour l'abolition des transports payants.
Mais, à les croire, ce n'est pas la cherté du transport, conjuguée
à la ghettoïsation, qui explique la majorité des violences
et des dégradations. Au nom de la défense des agents, ils ont même
justifié l'installation de barrières, de grillages autour des gares.
Et lors d'un débat récent organisé avec des copains qui luttent
contre la vidéosurveillance et avec plusieurs autres SUD, ils nous ont
appris qu'ils syndiquent les SUGE (la milice privée de la SNCF, qui est
armée), autrement dit des mecs qui font un boulot de flics sous l'uniforme
SNCF ! Pour ne pas perdre de syndiqués, ils renoncent à mener une
lutte de fond pour la gratuité des transports publics, qui pourtant serait
la meilleure manière d'éviter que les cheminots passent pour des
flics auprès des jeunes de banlieue.
Chantal : L'impression que
j'ai, c'est que SUD a les yeux plus gros que le ventre. On veut pouvoir jouer
dans la cour des grands, mais on est tout petits. À ce que je vois, ce
que représente SUD aujourd'hui pour ceux qui lui sont extérieurs,
c'est des petits drapeaux égarés dans des manifestations. La position
que j'avais défendue en vain au moment de la modification des statuts,
c'était : continuons à nous construire tranquillement, n'essayons
pas de nous étendre à d'autres domaines, car on n'est pas suffisamment
solides. Les SUD veulent être partout, du coup ils ne sont nulle part. L'image
qu'ils donnent d'eux-mêmes est peu en rapport avec la position qu'ils occupent
sur le terrain des luttes.
SUD Culture est engagé dans des luttes citoyennes
- certes, ça lui coûte quelques sous, mais comme ils sont désormais
financés par le ministère de la Culture (ils ont de superbes bureaux),
ils peuvent le faire sans trop de difficulté. Mais ça relève
du simple effet d'affichage, ça n'a aucune connexion avec les luttes internes.
Le temps où nous occupions les musées, où nous imposions
des journées de gratuité, où il était possible d'envahir
le ministère ou de faire intrusion dans les négociations nationales
semble à jamais révolu… Et c'est même pire que ça :
sur les vrais problèmes que rencontrent les salariés dans les établissements,
ils n'ouvrent plus la bouche.
Au départ, SUD s'était quand même
doté d'un outil qui était bien fait pour l'interprofessionnalité,
à savoir le groupe des Dix. Or aujourd'hui il y a une personne par syndicat
SUD qui fait le lien avec le groupe des Dix : il y a de quoi se poser des questions,
car, indépendamment des questions idéologiques, je ne vois pas comment
ça peut fonctionner, une personne qui représente la totalité
d'un syndicat dans une structure interprofessionnelle. Ça montre bien qu'il
y a déconnexion totale entre le sommet et la base.
Un syndicat pour
un changement de société ?
Janos : Quand j'ai participé
à la création de SUD Éducation, c'était dans l'idée
de créer un syndicat qui soit la continuation de ce qu'on avait fait pendant
la grève de 1995, les coordinations, les comités de grève,
en un mot, nos tentatives d'auto-organisation ; un syndicat qui ait un projet
de société. Et je n'étais pas le seul. Bien sûr, on
était tous dans la confusion, après la chute du mur de Berlin. Mais
dans SUD Éducation, l'idée d'un changement de société
avait été affirmée dès le départ. D'ailleurs
notre slogan c'était non pas " Une école pour une autre société
", comme le prônaient les pédagogistes, mais " Une autre
société pour une autre école ". Les difficultés
sont arrivées ensuite, quand il a fallu se demander ce que ça signifiait
concrètement.
Christian : Il faut savoir qu'à l'origine
de chaque création d'un syndicat SUD, il y avait des militants d'extrême
gauche, donc qui véhiculaient l'idée d'un changement de société.
Mais les adhérents qu'ils ont gagnés, ce ne sont pas des révolutionnaires,
mais des gens comme tout le monde, qui subissent l'idéologie dominante.
Sans compter que, sur le plan politique général, les choses régressent
partout, donc les horizons se referment et l'état d'esprit n'est plus le
même. Je ne suis même pas sûr que les premiers militants aient
conservé leurs convictions d'origine.
Chantal : Moi, c'est SUD
et les luttes de terrain qui m'ont aidée à évoluer, c'est
donc bien qu'il y a eu un infléchissement général de l'orientation
de SUD. D'ailleurs je ne trouve pas qu'on grossisse à SUD.
Christian
: Au moment où se profilait la privatisation de France Telecom, les copains
de SUD disaient : on se prépare à une bataille qui sera dure. Et
ils avaient le rapport de forces pour le faire, car ils étaient très
forts en Ile-de-France, quasiment aussi forts que la CGT. Et qu'est-ce qu'on a
vu ? Trois ou quatre jours de grève reconductible, et puis, après
quelques sanctions prises contre des camarades qui avaient occupé des lieux
stratégiques, plus rien. C'est un échec sur lequel il faut réfléchir,
car aux Telecom ils étaient en position de développer une pratique
radicale. Or ils ont considéré qu'ils ne pouvaient pas aller au-delà,
d'autant que la CGT ne voulait pas que ça aille trop loin : là aussi,
on voit bien quel rôle joue l'unité syndicale. Après ça,
les dirigeants de SUD PTT comme Aguiton sont allés s'investir dans d'autres
batailles, ailleurs… Constatant que sur des grèves nationales dures on
allait vers des échecs et que les grèves locales étaient
difficiles à gérer, ils sont allés s'occuper d'autre chose.
Dans les luttes citoyennes - où ils ont fait un très bon travail,
sans doute…
Janos : La question qui se pose désormais c'est :
est-ce que l'outil syndical a encore une validité ? Les luttes prestigieuses,
celles qui ont fait bouger les choses, n'ont pas été menées
par des syndicats. Nous, les profs, on a fait six semaines de grève en
2003, mais les syndicats n'étaient pas là. SUD a un peu aidé
bien sûr, mais la lutte n'a pas été menée par les syndicats.
Et maintenant qu'une partie de la jeunesse se soulève, contre le plan Fillon
mais aussi contre cette société, contre l'avenir qu'on leur offre,
contre le capitalisme libéral, où sont les syndicats ? Où
était Solidaires dans ce mouvement ? On parle d'interpro, mais où
étaient SUD PTT, SUD Rail, SUD Culture quand les lycéens se sont
fait matraquer ? Ils faisaient quoi, nos permanents ? Alors qu'on avait notre
" SUD Flics " : SUD Intérieur, surtout composé de RG,
à l'avant-poste du flicage des lycéens… Alors les " luttes
citoyennes ", ça veut dire quoi ? Quand les lycées apportent
une réponse par la lutte à cette Europe tant dénoncée,
qui les soutient autrement qu'en mettant sa signature en bas d'un tract ?… Les
lycéens ont lancé un train, ils ont lutté pendant trois mois,
et personne n'a pris ce train-là. Alors c'est quoi, le travail " citoyen
" si l'on n'est pas avec ceux qui luttent, avec les lycéens, avec
les sans-papiers qui remettent en question cette Europe forteresse ? Bref, à
quoi servent les syndicats ? SUD n'incite plus à la radicalité.
Et l'on ne fait plus que reculer.
Quel rôle dans le mouvement de
2003 ?
Henri : En 2003, à Paris tout au moins, on a moins
vu les Solidaires dans les manifs et dans l'organisation des grèves, alors
qu'ils représentent aujourd'hui 80 000 adhérents contre 30 ou 40
000 en 1995. C'est pas le nombre qui fait la force d'un mouvement. Pour SUD Rail,
c'est peut-être un peu différent, l'idée de grève générale
reconductible a été défendue pendant plusieurs mois, mais
si on prend les Solidaires dans leur ensemble, le bilan est assez négatif.
Même s'ils n'ont cessé de parler de grève générale,
ce qui prévalait c'était un besoin d'être reconnus et de défiler
avec les grandes organisations syndicales.
Chantal : À la BNF,
on a fait une grève d'un mois, que SUD Culture a soutenue officiellement
sans s'engager lui-même dans le mouvement. Cette grève était
porteuse pour ceux qui la vivaient, parce qu'elle était raccordée
à un mouvement national, ce qui n'était pas rien. Une véritable
interprofessionnelle s'est mise en place, où il y avait des cheminots de
SUD Rail, des profs de SUD Éduc (c'était pas facile avec les profs,
plus facile en revanche avec les cheminots), des salariés de la Pitié-Salpêtrière,
des jeunes de Fock's, mais tout cela c'est fait grâce à la CNT, et
non à SUD Culture, qui n'a rien fait pour. Je suis sortie de cette grève
désespérée, car, même si SUD n'avait pas appelé
à la démobilisation, il n'a offert aucun soutien, aucun relais…
Ils n'ont même pas tenté de négocier le retrait des jours
de grève, ce qui fait qu'on a perdu un mois entier de salaire. Et tout
cela n'a pas empêché qu'à la fin on serve d'alibi à
SUD Culture pour prouver son engagement…
Janos : Les actions interpro,
réjouissantes, joyeuses, dynamiques, qui ont été faites dans
les Hauts-de-Seine (on a occupé les gares, les voies ferrées, bloqué
des métros…) en 2003 l'ont été à l'initiative de militants,
SUD, CGT, CNT, FSU ou non syndiqués. Mais du côté des Solidaires,
alors que c'était le moment de sentir la force de l'interpro qu'ils représentaient,
on a eu une mobilisation très inégale, parfois les Solidaires bougeaient,
parfois pas. Par exemple, quand on est allés à la gare Saint-Lazare,
c'est la CGT qui nous a invités, par l'intermédiaire de militants
LO, alors que SUD y est très implanté. Solidaires n'a pas fonctionné
dans cette grève. Et encore moins pendant le mouvement de lycéens
de cette année.
Du renoncement à l'institutionnalisation
Chantal
: Ce qui devient dangereux dans les établissements de la Culture aujourd'hui,
c'est de parler de ce qui s'y passe. Prenons l'exemple de l'intranet de la BNF
: ce qui est subversif aujourd'hui, ce n'est pas d'y prendre position sur la Constitution
européenne, ni d'y défendre les luttes des sans-papiers - là-dessus,
aucun problème ! - mais bien plutôt d'y parler de la télésurveillance
qui se met en place, de la traçabilité des agents qui s'instaure
à travers la " charte Marianne " : ça, ça vous
expose à des représailles. Il y a trois, quatre ans, si j'avais
parlé de ces questions, ç'aurait été considéré
comme relevant de la banale défense catégorielle, mais aujourd'hui
on me le fait payer. La " charte Marianne " qu'a mise en place le ministère
de la Culture permet de contrôler les salariés dans toutes leurs
activités, d'individualiser les systèmes de notation, et, à
en juger les réactions que mes messages ont suscitées, ce système
fait naître de sérieuses inquiétudes chez les salariés
(90 % d'entre eux sont contre). Or, quand j'ai alerté SUD Culture de ce
qui se préparait autour de cette charte et de la pression que vivait le
personnel de la BNF, je n'ai eu aucune réaction. Pas étonnant puisque,
comme toutes les organisations syndicales, ils semblent avoir avalisé cette
charte en haut lieu, à en juger ce qui est dit sur le site du ministère.
Mais la section SUD BNF elle-même n'a pas fait ne serait-ce qu'un tract,
et quand je les ai interpellés ils m'ont répondu : il faut que d'autres
syndicats s'associent pour obtenir une modification de la charte… (Quant à
la CNT, elle a dit vouloir faire quelque chose, mais je n'ai toujours rien vu.)
Rien à faire, on ne peut pas accepter que l'on vous octroie généreusement
de grands bureaux et se sentir libre en même temps. Or SUD Culture a désormais
des moyens énormes, comme les autres organisations syndicales.
Et puis,
pendant que les militants SUD sont occupés à siéger dans
le groupe des Dix, ils ne se soucient pas de relayer ce qui se passe dans chacune
des sections. Le journal de SUD Culture n'est plus représentatif des luttes
sur le terrain. Ils ont consacré beaucoup de temps à la Constitution
européenne, mais le tract sur le sujet se fait toujours attendre dans les
établissements… S'il était là, on pourrait peut-être
faire le lien entre la Constitution et la charte Marianne, et organiser un débat,
car les salariés ne sentiraient pas la question européenne comme
déconnectée de leur quotidien professionnel.
Christian : Un
des objectifs de la Poste et de France Telecom après la privatisation,
c'est de faire qu'il y ait de moins en moins de fonctionnaires titulaires, de
façon à fragiliser les salariés, à les précariser.
Et là aussi l'aspect sécuritaire se renforce. (Dans l'immense centre
de tri mis sur pied vers Melun-Sénart, les gars sont surveillés
par des caméras, ils portent un badge, ils peuvent même pas se balader
librement.) Donc les grandes grèves ont échoué, les centres
de tri ont été cassés (du coup SUD est obligé de se
rabattre sur les facteurs, mais là aussi il y a beaucoup de non-titulaires)
et la privatisation rampante est largement engagée à la Poste. Les
organisations syndicales se rendent bien compte du rapport de forces, alors ils
essaient de limiter la casse, mais fondamentalement les carottes sont cuites,
c'est triste à dire… Mais bien entendu, il faut résister.
Henri
: À la SNCF on n'est pas très loin de ce qu'ont vécu
les Telecom. Depuis l'échec de la grève de 2003 sur les retraites,
il y a une accélération des restructurations, et, face à
cela, on observe un recul global chez SUD Rail. On a beau progresser électoralement
(on est la deuxième organisation syndicale, avec 15 à 16 % des voix,
voire plus avec les adhésions récentes), sur les luttes on régresse.
Il semble bien loin, le temps de 2001 où SUD Rail avait lancé une
grève pratiquement tout seul - grève qui n'a pas vraiment été
un échec d'ailleurs, puisqu'elle a fait reculer la SNCF de plusieurs années
sur la " gestion par activités ". Quand l'unité syndicale
n'est pas possible, il faut être capable de lancer un mouvement tout seuls
en trouvant d'autres moyens. Or aujourd'hui, s'il n'est pas possible de lancer
un mouvement avec l'ensemble ou la grande majorité des autres syndicats,
SUD Rail ne bouge pas. C'est vrai qu'il est le seul syndicat à ne pas avoir
avalisé l'accord sur le " dialogue social ", mais je ne crois
pas que la grève du 2 juin, annoncée comme reconductible, va déboucher
sur grand-chose.
Janos : Le dernier congrès de Solidaires, en
décembre 2004, c'était clairement un congrès d'intégration.
SUD Éducation y a proposé plusieurs amendements qui ont été
rejetés. L'un proposait d'inscrire l'objectif de l'abolition du salariat
dans les statuts : rejeté. Dans un autre il était dit que le syndicat
doit se soumettre à la volonté des grévistes avant d'engager
des négociations avec les patrons : rejeté, sous prétexte
que les salariés peuvent aussi être racistes, réactionnaires…
Le dernier définissait l'État comme étant au service du patronat
: rejeté, au nom du fait que l'État c'est aussi les services publics,
qu'il aurait donc, prétendument, une " double nature " !… Enfin,
on a proposé un petit texte disant qu'on ne voulait pas de flics syndiqués
dans Solidaires, que la présence d'un syndicat de flics dans nos rangs
nous lie à l'État, et on a été hués… En revanche,
quand les flics de SUD Intérieur sont montés à la tribune,
ils ont été applaudis pendant dix minutes (" on va démocratiser
la police ", paraît-il…). Dans ce congrès de Solidaires, il
y avait un petit groupe qui dirigeait tout, qui empêchait de faire passer
les choses. On ne sentait qu'une volonté d'être reconnus. Aschieri,
de la FSU, par exemple, a été courtisé, alors qu'il y a un
syndicat de l'Éducation (SUD Éducation) dans Solidaires avec lequel
la FSU refuse de discuter au niveau national. Solidaires a été admis
dans la gestion de la Bourse du travail, mais quand les sans-papiers en grève
de la faim se sont réfugiés dans les locaux de la rue de Turbigo,
SUD n'a pas menacé de claquer la porte pour défendre leur droit
d'être là.
Il y a maintenant une commission contre la répression
syndicale dans Solidaires, et les RG y participent en tant que syndiqués
SUD… alors que le prof qui risque maintenant la radiation en raison de sa participation
au mouvement lycéen a été dénoncé par les RG
! C'est vrai que, suite aux problèmes de répression des lycéens,
il y a une résolution de SUD Éducation qui vient de passer disant
que, si les flics restent dans la commission " répression antisyndicale
" des Solidaires, SUD Éducation quittera la commission.
Christian
: À mon avis, il y a eu une première phase innovatrice dans SUD,
à ses débuts. Une période d'avancées, sur le plan
du droit notamment, une période d'enthousiasme, d'initiatives, où
ses militants voulaient faire un syndicalisme différent. Mais elle a atteint
ses limites avec la grève de 1995. Les acquis culturels et politiques de
SUD ne se sont pas traduits alors dans la grève, ses militants ne se sont
pas opposés centralement aux directions des autres syndicats, ils ont été
très en retrait sur la nécessité de comités de grève.
Alors, constatant qu'ils avaient engrangé de beaux succès en termes
de visibilité nationale mais qu'ils ne pouvaient pas aller plus loin, ils
ont délibérément décidé de se stabiliser. En
faisant le choix d'une démarche interprofessionnelle, mais sans se constituer
en fédération, pour ne pas apparaître comme concurrent des
autres confédérations. Et en adoptant une tactique de négociation
et de diplomatie à l'égard des autres organisations syndicales liées
au PC et au PS. Ce qui correspond tout à fait à la démarche
des militants politiques d'extrême gauche (dont beaucoup étaient
membres des SUD) à cette même période. 1995 leur a servi de
test : ils n'ont pas été armés politiquement ou n'ont pas
eu la volonté (les deux sont sans doute liés) de favoriser l'auto-organisation
des travailleurs avec un projet politique alternatif aux dirigeants de la gauche.
À ce moment-là, ils ont totalement pris conscience de leurs limites,
et ils ont décidé de limiter la casse et de rentrer dans le cadre
établi. C'est comme ça que je comprends les choses. Pour eux, il
s'agit de gérer les luttes et les syndicats, et non pas de les animer.
La vie du syndicaliste SUD
Chantal : En fait, aujourd'hui
les salariés se sentent moins proches de SUD Culture. Mais ce que j'entends
dans la bouche des militants SUD, c'est le même discours désespéré
des autres syndicats : les gens ne se mobilisent pas. Et effectivement, depuis
la dernière grève des vacataires, il y a tout au plus quinze personnes
dans les assemblées générales… (sur les 1 700 salariés
de la BNF). Mais lors de la dernière grève, SUD a bien assuré
la logistique, mais ils n'ont pas mis les pieds dans l'établissement, alors
que la grève a duré de façon larvée pendant deux mois.
Et quand ils ont fini par intervenir, la grève se délitait, alors
ils ont négocié un protocole de sortie de grève. Bref, SUD
Culture a bien l'air d'être occupé à autre chose qu'à
s'investir dans les luttes de terrain..
Christian : Au départ,
les militants à l'origine de SUD étaient oppositionnels au sein
des grandes confédérations, et leur culture politique était
de déborder les directions syndicales, en s'appuyant sur les exigences
de démocratie, les AG souveraines, etc. À présent ils font
de la diplomatie syndicale avec les autres appareils. Donc, changement de style
et de méthodes.
Et puis il y a un problème de renouvellement
des cadres syndicaux. Dans les statuts de SUD PTT il avait été dit
qu'un responsable syndical, à quelque niveau qu'il soit, ne pouvait pas
faire plus de deux mandats. (Le problème s'est posé avec Annick
Coupé : au congrès de SUD il a été demandé
qu'exceptionnellement elle soit réélue une troisième fois
comme représentante, et ça a été refusé, ce
qui prouve qu'il reste quelque chose d'une ancienne culture.) Mais il devient
difficile de trouver de nouveaux militants formés dans le même moule,
les nouveaux n'ont pas le même passé ni la même orientation.
Les responsables syndicaux se disent à présent : pour montrer
qu'on sert à quelque chose, négocions des choses minimales et dénonçons
ce qui est inacceptable. Mais en fait ils n'ont plus le rapport de forces, car
ils n'ont plus confiance ni en eux-mêmes ni en la capacité de mobilisation
des travailleurs. Il n'y a qu'à voir les échecs des grèves
générales ou des grèves nationales par secteurs. Sur la base
de ces échecs, ils se disent : mieux vaut un syndicalisme qui limite la
casse que rien du tout. Alors ils passent des accords boiteux avec l'administration,
comme celui qui transforme un certain nombre de CDD en CDI, ce qui veut dire faire
occuper des positions de titulaire par des CDI - ça entrave le retour des
provinciaux mutés sur Paris et ça fait que d'autres non-titulaires
vont être virés (le tableau national des mutations n'existe plus
de fait.)
Maintenant qu'il n'y a plus de perspective collective, beaucoup
d'agents viennent voir SUD pour résoudre leurs problèmes individuels.
Janos : Dans mon collège, il y a presque 10 % des salariés
syndiqués à Sud Éducation, ce qui n'est pas mal. Mais qu'est-ce
que ça recouvre ? Les gens choisissent leur syndicat en fonction du comportement
qu'ils observent chez les militants, donc sur une base locale. Et il n'y a pas
d'approche nationale qui puisse faire le lien entre les formes locales de syndicalisme
radical et un projet global. Il n'y a pas de projet global. Aujourd'hui, dans
les différentes luttes, on rencontre toujours les mêmes militants,
qui agissent indépendamment de leur appartenance syndicale. Tout ça
pose la question de l'utilité de la forme syndicale.
Christian : Pour proposer un tract, pour afficher un tract, pour organiser une prise de parole,
pour déposer un préavis de grève, pour participer à
une réunion avec un responsable d'un service, il faut avoir un statut d'élu.
D'élu syndical et du personnel dans le privé, d'élu mandaté
dans le public. Un simple salarié qui fait une prise de parole sur le temps
de travail est automatiquement sujet à la répression. À présent,
tout ce qui n'est pas juridiquement écrit est sujet à une attaque
automatique. Donc, comme le fait d'avoir des responsabilités syndicales
fait que l'on risque moins d'avoir des problèmes, même si le militant
syndical vit son activité comme un moyen de se mettre au service des collègues,
cela crée une différenciation. Tout cela est fait pour favoriser
l'émergence de certains individus bénéficiant d'un statut
à part. Du coup il y a une très grande défiance des salariés
sur l'utilisation des mandats, par exemple.
Henri : Moi, j'ai toujours
refusé d'être permanent syndical. Non pas que je trouve ça
compromettant - je pense qu'à 90 % les permanents syndicaux sont sincères
dans ce qu'ils font - mais je pense qu'il y a un fonctionnement qui s'est instauré
qui fait qu'il est de plus en plus difficile de rester en osmose avec les simples
salariés. On le voit à la SNCF comme dans les grandes entreprises
: les patrons n'aiment pas que quelqu'un qui a des mandats syndicaux reste à
la base. Ils préfèrent que la personne soit complètement
permanente. Ils considèrent le rôle de partenaire social comme une
fonction : celui qui l'occupe doit cesser d'être proche des salariés.
Donc soit vous rentrez dans le rang en abandonnant tout mandat, soit vous ne faites
que du syndicalisme.
À SUD Rail, au bout de six ans, on est tenu de
retourner au boulot. Eh bien c'est souvent la direction qui s'y oppose. Je connais
plusieurs cas où il a fallu demander une audience à la direction
pour obtenir qu'un permanent puisse retrouver un poste. Et puis c'est parfois
difficile de retrouver son poste, le boulot a changé, les collègues
sont partis… il faut se réadapter complètement et c'est pas évident.
Pour que le permanent retourne au boulot, il faut qu'il soit très, très
motivé. Sans compter, bien sûr, que faire du boulot syndical c'est
plus intéressant que de faire son boulot salarié. Tout ça
explique pourquoi on a du mal à faire que les permanents ne le soient pas
à vie.
Janos : À SUD Éducation, il n'y a pas de
permanents à plus de 50 %, tout le monde est obligé de travailler
au moins à mi-temps, ce qui est positif, mais ce n'est pas comme ça
dans tous les SUD. Au dernier congrès de Solidaires, SUD Éducation
a proposé un amendement proposant de limiter à neuf ans de suite
(une paille !) la tâche de permanent… et pourtant ça a été
rejeté. Je ne crois pas que ce soit une question de carriérisme,
simplement les permanents se persuadent qu'ils sont indispensables, qu'ils servent
mieux la lutte comme ça. Annick Coupé, elle travaillait aux Chèques
postaux, alors, après avoir connu le passage à la télé
deux fois par jour, c'est difficile de revenir au régime " bâtiment
C, 3e étage ". C'est humain. Sauf que, en l'absence d'un projet syndical
fort de rupture avec ce monde, ce problème ne peut pas trouver de solution.
De plus, il y a une sorte de fraternité qui se crée entre syndicalistes
de différentes chapelles qui fait qu'il est de plus en difficile pour les
responsables de SUD d'assumer une position de rupture vis-à-vis des autres.
L'histoire des sans-papiers l'a bien montré : en toute honnêteté
ils ont pu se dire : pour le boulot que je fais, il est plus important de ne pas
me fâcher avec la CGT qu'être bien avec les sans-papiers. Le projet
de société, c'est ce qui permet d'avoir une boussole, de prendre
position, de se dire : je reste avec le sel de la terre ou je choisis le pouvoir,
même s'il s'agit d'un mini-pouvoir.
Christian : Quand on a été
traités de coucous dans des congrès avec Edmond Maire, quand on
s'est cartonnés avec les bureaucrates pendant des dizaines d'années,
quand on a eu sans cesse des difficultés dans les réunions syndicales,
le fait d'avoir enfin un outil à soi, ce n'est pas rien. Avec SUD, ils
ont leur " joujou ", ils ont une légitimité, ils peuvent
parler d'égal à égal dans les réunions où les
patrons sont présents, ils sont reconnus. Et ensuite, dans leurs propres
réunions politiques, ils peuvent raconter leurs exploits, ils sont quelqu'un,
ils sont quelque chose… y compris aux yeux de leurs familles. En dix ans ils ont
réussi ça, c'est pas mal ! La question de la légitimité,
ça pèse, en tant que structure syndicale mais aussi en tant qu'individu
! Regardez ce que fait Aguiton : ils ont perdu la bataille de la privatisation
des Telecom, mais il se balade dans le monde entier en tant que représentant
de ci et de ça, il tisse sûrement des liens très intéressants
avec des militants du monde entier… (et en attendant, aux Telecom, ils en prennent
plein la gueule).
La question de la représentativité
Henri
: On n'a pas parlé de la représentativité dans le privé.
Le fait d'être un syndicat SUD prive d'emblée de la reconnaissance
qu'ont les autres confédérations et oblige à une bataille
juridique qui peut durer un ou deux ans. La représentativité, c'est
une bataille qui mériterait peut-être d'être gagnée.
Si SUD est majoritairement implanté dans le service public, c'est en grande
partie à cause de cette limite. Sur Villeneuve-Saint-Georges, dans les
entreprises de nettoyage des TGV, une trentaine de salariés se sont syndiqués
à SUD, et maintenant l'affaire est en procès. Ce genre de démarches
oblige à une grande dépense d'énergie, et souvent ça
se termine par des licenciements. En revanche, avoir la représentativité,
ça permet d'avoir des représentants élus, des droits syndicaux,
des moyens, des locaux, et des salariés protégés. La CNT
fait elle aussi des batailles en reconnaissance syndicale… Sans cette reconnaissance,
pas moyen ne serait-ce que d'afficher un tract dans l'entreprise.
Janos
: Au début de SUD Éducation, nous avons occupé le Conseil
d'État et le ministère pour être reconnus. Mais la question
de la représentativité est très complexe. Dans l'Éducation
nationale, c'est le nombre de voix obtenues aux élections qui détermine
le nombre d'heures de délégation syndicale octroyées. Pourtant,
au nom de la représentativité, les grands syndicats ont un deal
avec la direction sur les mutations : ils sont informés des mutations trois
mois avant leur publication, ce qui leur permet d'entretenir une clientèle
- en un mot, ils font de la cogestion. Aux PTT et à la SNCF, je suis sûr
que c'est pareil. Les syndicats sont intégrés parce qu'ils participent
à la gestion du personnel. SUD y compris. Dans notre académie, nous
avons un délégué SUD certifié, qui participe aux commissions,
reçoit les documents, etc. Jeu très bizarre, d'ailleurs, parce que,
comme ça suppose un nombre incroyable de réunions donc un grand
nombre d'heures syndicales, soit tu y vas et tu te fais bouffer ton temps, soit
si tu n'y vas pas et tu n'as pas les infos, alors que les autres syndicats peuvent
se prévaloir de les avoir, eux.
Henri : À SUD Rail, il
y a une règle de démocratie qui impose que, chaque fois qu'un délégué
participe à une réunion avec la direction, il doit en rendre compte
au syndicat et à l'ensemble des cheminots. ça paraît bien
sur le papier, mais avec la multiplication des réunions, si tu fais ça
sérieusement (la préparation, qui suppose d'aller voir les salariés,
le compte rendu, le tirage et la distribution du tract…), ton temps syndical y
passe entièrement. Ainsi, au nom du principe de démocratie, tu te
fais complètement bouffer. Au lieu de préparer des luttes, tu ne
fais que de l'information.
Christian : S'il y a un domaine où
la représentativité est un enjeu important, c'est celui de la participation
aux conseils d'administration. Quand les syndicats arrivent à y avoir un
représentant, ils sont censés avoir toutes les informations. À
EDF ou aux Télécoms, c'est stratégique : ça donne
les moyens de pouvoir dénoncer les liens avec les multinationales, le colonialisme,
les affaires qui sont faites de façon scandaleuse, mais aussi la façon
dont se positionnent les différents syndicats. Ce qui suppose un suivi,
des capacités juridiques, des liens internationaux…
Henri : À
la SNCF, c'est effectivement un enjeu important. En 1998, pour des questions de
non-représentativité (malgré 130 procès), SUD Rail
n'avait pas pu se présenter aux élections au conseil d'administration.
À présent il a une élue qui y siège. Et qui, depuis,
subit vraiment les pressions de la direction, car elle ne joue pas leur jeu :
elle fait des comptes rendus minutieux et fait aussi part du vote des autres syndicats
- et c'est là qu'on s'aperçoit qu'ils participent à la privatisation
d'autres entreprises, par exemple... Du coup, tous les mois, Gallois dénonce
le rôle de l'élue SUD Rail au CA, prétendant lui imposer la
règle du devoir de réserve. Ce qui pourrait bien se terminer par
son éviction.
Bref
historique de l'union syndicale Solidaires
Le 10 décembre 1981,
dix syndicats et fédérations autonomes (SGSOA [organisations agricoles],
SNUI [impôts], FGAF [fonctionnaires], FADN [défense nationale], FGAAC
[agents de conduite], FAT [transports], SNCTA [contrôleurs du trafic aérien],
SNJ [journalistes], FASP [police], SUACCE [Caisses d'épargne]) - pour la
plupart nés de la scission entre la CGT et CGT-FO de 1947-1948 - se réunissent
pour jeter les bases d'une activité commune. Estimant que " le maintien
des divisions syndicales ne pourrait que conduire à un affaiblissement
global du syndicalisme et nuire aux revendications du monde du travail ",
ils refusent de donner vie à une énième confédération.
Le " groupe des dix " (G10) est né. Sa vie sera ponctuée
par la sortie ou l'entrée de syndicats autonomes, sans que, dix ans durant,
rien ne change de son fonctionnement ni de ses perspectives.
Les principaux
syndicats SUD (postes, télécoms, hôpitaux/secteur social,
transport ferroviaire) se constituent lorsque des groupes d'oppositionnels quittent
la CFDT, entre 1989 (où les anciens " moutons noirs " de la CFDT
des postes créent SUD PTT et ceux de la santé créent le CRC,
devenu SUD Santé-social en 2000), et 1995-96, au lendemain des grèves
de décembre 1995 (où la majorité CFDT des cheminots crée
SUD Rail). Suivent, en 1996, SUD Education et SUD Etudiant, puis SUD Culture,
ainsi que plusieurs autres SUD de secteurs divers et de taille plutôt réduite
à l'échelle nationale, mais disposant parfois d'une forte implantation
locale, due à la sortie de la CFDT d'une section importante, à un
afflux de militants CGT ou à une lutte locale engendrant un mouvement de
syndicalisation (40 à 50 % des adhérents SUD n'ont pas d'appartenance
syndicale antérieure).
En décembre 1992, SUD PTT devient membre
du G10, qui va évoluer : alors que les SUD s'investissent dans le lancement
de la campagne " Agir ensemble contre le chômage " et les marches
des chômeurs, l'ensemble du G10 prend quelque distance avec les attitudes
corporatistes des origines et évolue graduellement vers un syndicalisme
plus revendicatif, plus ouvert sur les problèmes de société,
se présentant comme plus interprofessionnel et " solidaire ".
Plusieurs syndicats quittent alors le regroupement, certains restant autonomes,
d'autres rejoignant la nouvelle galaxie de l'UNSA.
En 1997, le G10 présente
ses propres listes aux élections prud'homales, obtenant des résultats
assez modestes. La même année, nouvelle participation aux marches
européennes contre le chômage.
En février 1998, SUD Collectivités
territoriales est admis au G10. C'est en s'introduisant par le biais de ce syndicat
que SUD Intérieur fera l'économie d'un débat sur son adhésion
au nouveau regroupement (précisons toutefois que le congrès de décembre
2004 plébiscitera sa participation). En juin de la même année,
le G10 participe à l'assemblée constitutive d'ATTAC - et fait depuis
partie de son collège des membres fondateurs. En novembre, SUD Rail est
admis au G10. En 2002, le G10 appelle à faire barrage à Le Pen au
second tour des élections présidentielles, participe aux forums
sociaux de Porto Alegre puis de Florence, et aux manifestations contre la guerre
en Irak. Ses scores aux élections prud'homales s'améliorent.
En
2003, il s'engage dans le mouvement des enseignants puis contre la " réforme
" des retraites, appelle à la " grève générale
interprofessionnelle " mais n'arrive pas à influer sur les positions
des autres syndicats.
En 2004, alors que se prépare la " réforme
" de la Sécu, il reste en attente d'une action syndicale unitaire,
qui n'aura jamais lieu. Les nombreux collectifs locaux nés à cette
occasion se borneront donc à une activité d'information et de "
pression " sur les confédérations ayant pignon sur rue. Aucune
initiative autonome en direction des salariés n'est prise.
Sources
:
www.solidaires.org ; www.sud-ghh.com ; www.sudeduc18.ouvaton.org ; http://fr.wikipedia.org
"
Syndicat SUD : voyage à l'intérieur du nouveau syndicalisme ",
in " Courant alternatif ", octobre 2000, (www.ainfos.ca/00/nov/ainfos00015.html)
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