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ENTRE REVENDICATION
ET SUBVERSION :
LE MOUVEMENT DES CHOMEURS EN FRANCE
Nicole Thé
Dans ce qu'il est convenu d'appeler
"le mouvement des chômeurs" de l'hiver 1997-1998 en France se
sont croisées plusieurs exigences, qu'il n'est pas abusif de reclasser
en deux pôles : celui d'une défense organisée des sans-travail
stable condamnés à vivre d'allocations, et celui animé par
un désir de subversion sociale capable de mettre en cause les règles
de répartition inégale de la richesse sociale. Ces deux pôles
ont coexisté, parfois dans une fusion originale bien que souvent conflictuelle,
parfois dans une volonté de démarcation réciproque. Si je
choisis de les prendre en examen séparément, c'est surtout pour
arriver à dégager à la fois les enjeux et les succès
ou les limites de l'un et de l'autre.
LA DÉFENSE
ORGANISÉE DES SANS-TRAVAIL
L'objet de ce texte
n'étant pas de parler de la réalité du chômage en France,
je me contenterai de signaler son ampleur (plus de 3 millions de chômeurs
officiels, soit 13 % d'actifs, 4,5 millions selon des statistiques plus honnêtes,
et, plus généralement, 7 millions de précarisés) et
surtout sa permanence dans le temps. Même s'il a à l'origine frappé
surtout les salariés des secteurs en voie de modernisation, il n'a cessé
de croître pendant deux décennies, sans que cette progression se
justifie par une situation de crise économique. Il s'agit donc bien d'un
phénomène chronique. Peu à peu, il a pris valeur de problème
de société. Dans un pays où l'Etat est traditionnellement
légitimé à intervenir pour garantir une certaine cohésion
entre les classes (à l'inverse du modèle anglo-saxon, où
le "marché" prétend être roi, et du modèle
méditerranéen, où famille et formes d'aide plus ou moins
occultes, voire clientélaires, jouent le rôle d'amortisseurs), on
ne s'étonnera donc pas que les gouvernements successifs aient eux-mêmes
affiché "la lutte contre le chômage" comme une de leurs
priorités - ce qui leur a surtout permis de contribuer à la baisse
des salaires et à faire avancer la précarité en introduisant,
à destination des chômeurs de longue durée, de multiples sous-statuts
de salariés.
Un syndicalisme de chômeurs
en construction
Lorsque éclate le mouvement en
décembre 1997, cela fait une décennie que des tentatives sont faites
pour organiser les chômeurs, à partir de motivations diverses :
o
Des chômeurs mieux armés ou plus réactifs que d'autres retrouvent
un nouveau souffle en investissant leurs énergies dans une forme d'autodéfense;
c'est ce genre de réactions qui a donné naissance à certaines
des associations qui se fédéreront dans le MNCP, où la priorité
sera donnée, selon les endroits, au travail revendicatif ou aux activités
de services aux chômeurs.
o Des militants syndicaux, de tradition chrétienne
notamment, scandalisés par la misère croissante produite par une
société qui continue d'accumuler des richesses, cherchent à
provoquer un sursaut moral de la société ; en cela ils en rejoignent
d'autres, de sensibilité d'extrême gauche, qui entrevoient aussi
le risque d'une division durable de l'unité de classe. C'est cette jonction
qui motivera le regroupement militant baptisé "Agir ensemble contre
le chômage" (AC!), créé à l'origine pour mettre
sur pied la première marche des chômeurs à travers la France,
en 1993. Reposant sur une association circonstancielle de militants politiques
et syndicaux et de certaines des premières victimes de ce qu'il est convenu
d'appeler l'"exclusion" (les premiers encadrant la troupe), cette marche
sera porteuse d'une telle dynamique que les collectifs locaux qui s'étaient
créés pour la circonstance décideront de se maintenir en
vie. Ainsi naît AC!, organisation hybride (fédération de syndicats
et d'associations d'extrême gauche et réseau de collectifs locaux),
qui sera pour beaucoup dans la maturation de la réflexion sur la question
du chômage. D'une simple dénonciation de l'injustice sociale faite
aux chômeurs, on passera au fil des ans à une perception plus nette
de la fonction du chômage dans la gestion capitaliste: faire peser une menace
sur l'ensemble de la classe travailleuse, pour lui faire accepter une intensification
du travail et une baisse des salaires; autrement dit, permettre aux patrons de
réduire la part des profits qu'ils doivent céder à leurs
salariés. La "lutte contre le chômage" prend, dans cette
optique, un caractère fortement unificateur, le sentiment profond d'injustice
arrivant à s'articuler à une dénonciation des intérêts
qui travaillent à l'aggravation des inégalités sociales.
Cela explique qu'aient pu coexister à l'intérieur d'AC!, à
côté des chômeurs attirés par l'action collective, des
militants de presque toute la palette syndicale et politique d'extrême gauche,
libertaires compris - sur une plate-forme revendicative associant l'exigence d'un
revenu "décent" pour tous à celle d'un réduction
du temps de travail massive et sans contrepartie.
o Enfin, des militants d'organisations
politiques dont le souci principal est d'occuper un terrain encore en friche au
profit de leur organisation. C'est la démarche qui donne naissance à
l'association APEIS, émanation directe des secteurs les plus staliniens
du PC. Mais cette logique n'est pas absente des autres regroupements (la Ligue
communiste révolutionnaire a des visées stratégiques très
claires sur AC!, par exemple).
Le caractère peu sympathique
de cette dernière motivation ne l'empêche pas d'être fondée
sur la perception d'une réalité : en France, le chômage ne
s'attaque pas avec la même virulence à toutes les couches de travailleurs.
Certains y sont plus exposés que d'autres, notamment les jeunes non qualifiés
et les travailleurs les plus âgés, facilement jugés non compétitifs
(il existe aussi une surexposition des femmes au chômage, mais masquée
par le fort développement du temps partiel). En d'autres termes, malgré
une offre de travail qui ne s'est jamais vraiment tarie, une certaine frange de
la société tend à se faire marginaliser du marché
du travail. Ce que traduit bien la progression continue du chômage de longue
durée, y compris lors des périodes où les statistiques enregistrent
une légère baisse du chômage global. Or les chômeurs
dont la situation de chômage se prolonge sont les plus mal protégés
du risque de grande pauvreté, risque que l'instauration en 1988 du RMI
(2.500 F par mois) n'a fait que tempérer. Et cette réalité
n'a fait que s'aggraver au fil des années, avec les révisions successives
des règles d'indemnisation des chômeurs par la caisse d'assurance
chômage, qui n'ont fait que pénaliser un peu plus, au nom du nécessaire
équilibre financier, ceux qui ont le plus de mal à retrouver du
travail (la fameuse "dégressivité" des allocations) et
les précaires. De toute évidence, il y a donc une catégorie
sociale dont la situation exigerait un travail de défense collective organisée
- ce que l'on pourrait appeler un syndicalisme de chômeurs. Nécessité
qui, au fil des ans, a fini par s'imposer dans les esprits. C'est sans doute ainsi
que s'explique, par exemple, la montée en puissance de la "tendance
revenu" au sein d'AC! (1), tendance qui travaille à focaliser toute
la critique et toute l'énergie d'AC! sur la lutte revendicative en faveur
d'un revenu garanti à tous.
Mais pourquoi les confédérations
syndicales, si promptes à revendiquer leur monopole de la représentation
des salariés, n'ont-elles pour ainsi dire rien fait pour occuper ce terrain
(à l'exception relative, nous le verrons plus loin, de la CGT) ? Sans doute
parce qu'elles ont été vidées de leurs énergies militantes
par le choix, fait depuis longtemps mais très accentué par leur
collaboration avec la gauche au pouvoir, de privilégier toutes les formes
de pouvoir institutionnel, source de financements indirects sûrs, plutôt
que de travailler à maintenir une implantation dans le monde du travail
de plus en plus aléatoire - logique que la croissance du chômage
ne peut qu'accentuer : les intérêts des chômeurs ne se défendent
dans aucun comité d'entreprise ou commission paritaire, mais seulement
dans la rue. Sans oublier que la caisse d'assurance chômage, l'Unedic, est
cogérée par... les grandes confédérations syndicales.
Alors, si, pour protéger l'équilibre financier de cet organisme
menacé par la croissance du nombre d'indemnisables, la solution consiste
à sacrifier, d'un commun accord avec le patronat, la partie la moins "opérationnelle"
- et la moins armée pour se défendre - des salariés, pourquoi
s'en priver? Que soit ainsi mis à mal le principe même d'assurance
collective sur lequel est fondé le système dont ils ont la gestion
partagée depuis l'après-guerre - et qui exigerait, en toute logique,
une augmentation des cotisations chômage à la hauteur du risque réel
- et qu'une frange entière de la classe ouvrière se trouve du coup
renvoyée dans la dépendance de l'Etat - le gouvernement décidant
seul du montant et des règles d'attribution des allocations de survie dites
"minimas sociaux" (d'environ 2.500 F par mois) - ne peut tout au plus
que poser quelques problèmes de conscience aux plus honnêtes de leurs
bureaucrates (2).
Ces choix comportent en fait un seul risque pour les confédérations
syndicales : que toutes ces mesures restrictives fassent monter l'exigence d'une
lutte collective des exclus du travail qui mettrait en lumière leurs responsabilités
dans le sale traitement réservé aux travailleurs les plus fragilisés.
Risque bien réel, en fait. Surtout si l'on considère que, dans
AC!, la dissidence syndicale est fortement représentée : SUD, "CFDT
en lutte" et plus généralement ce qui deviendra le "groupe
des dix", y ont un poids non négligeable, à travers leur soutien
financier et la présence active de leurs militants (qui sont parfois permanents
syndicaux) ; la CNT est elle-même présente dans certains collectifs
locaux. En ce sens, la position "patronale" des confédérations
syndicales gestionnaires de l'Unedic ne peut qu'apporter de l'eau au moulin du
syndicalisme de rupture...
On ne s'étonnera pas, dans ce contexte,
de l'hostilité syndicale vis-à-vis des embryons d'organisations
de chômeurs. Mais l'hostilité n'exclut pas une certaine proximité
de pensée. On sait qu'en France la dissidence syndicale se démarque
des grandes confédérations plus sur des objectifs que sur des pratiques.
La délégation permanente de pouvoir, notamment, n'a jamais, sauf
dans la CNT, été mise en discussion. Il est donc assez logique que
nos responsables d'associations de chômeurs aient tendance à expliquer
les fourvoiements syndicaux dans la gestion de l'Unedic par l'absence de représentation
des chômeurs dans cette instance. Et, sans états d'âme, à
se proposer pour combler eux-mêmes cette carence...
Ainsi s'explique
la revendication de "représentation des chômeurs partout où
l'on décide de leur sort" avancée par les organisations qui
finiront par s'autodésigner "associations de chômeurs",
histoire de marquer leur territoire (3), et qui, tout au long du mouvement, se
retrouvera dans tous leurs tracts en fin de liste de revendications, telle une
conclusion s'imposant comme une évidence.
Au moment
de la naissance du mouvement, il existe donc un embryon déjà bien
développé de syndicalisme de chômeurs. Des alliances se sont
forgées et stabilisées au sein de structures ad hoc. S'il est difficile
pour celles-ci de vivre de la cotisation d'adhérents sans le sou, elles
ont su tourner la difficulté: AC! vit des subventions des syndicats qu'il
fédère, les collectifs acceptant de faire acte d'allégeance
à la structure nationale autoconstituée par le paiement d'une cotisation
annuelle ne se bousculant pas ; les associations membres du MNCP trouvent des
sous dans le cadre du travail de formation qu'elles assurent. Des différences
d'histoire, de modes de recrutement et de méthodes (accompagnement dans
les démarches administratives pour l'APEIS, offre de services pour le MNCP,
mélange variable d'agitation propagandiste et d'entraide pour les collectifs
AC!) font qu'il y a plus partage des rôles que concurrence - un peu à
l'image du syndicalisme français. Ce que prouve l'organisation, depuis
déjà quelques années, de manifestations communes, où
ce partage des rôles devenait visible à travers les différences
d'origine et de style de leurs "troupes".
Mais il ne faudrait pas
oublier de faire place dans ce tableau aux comités d'action chômeurs
de la CGT, nés à Marseille du travail de mobilisation effectué
par d'anciens licenciés des chantiers navals de La Ciotat. Même si
l'existence officielle d'une organisation spécifique de chômeurs
au sein de la CGT va à l'encontre de l'idée, persistante en milieu
syndical, que les chômeurs ne peuvent être syndiqués que dans
leurs syndicats d'origine, ils présentent l'avantage de permettre à
la CGT, la plus "tribunicienne" des grandes confédérations,
de ne pas se faire marginaliser de ce terrain revendicatif (ses militants pouvant
invoquer le rôle oppositionnel joué par la CGT dans le système
paritaire de gestion de l'Unedic pour évacuer le problème de sa
coresponsabilité dans la permanence de ce système qui participe
à l'exclusion).
Entre la CGT-chômeurs et les "associations",
l'unité est plus problématique, en raison de l'incorrigible volonté
d'hégémonie des cégétistes. Mais le mouvement va la
rendre momentanément possible, en offrant à toutes l'occasion de
jouer ensemble la carte de la reconnaissance institutionnelle. C'est ce souci
d'unité des appareils, assez fort pour résister tout le temps du
mouvement et même au-delà, qui justifie le terme de "bande des
quatre" utilisé parfois par dérision.
La dynamique
syndicale se nourrit du mouvement
Rendons à César
ce qui est à César : c'est bien au travail d'agitation des "syndicats
de chômeurs" que l'on doit l'impulsion initiale du mouvement. Plusieurs
initiatives séparées vont se rejoindre : AC! organise une nouvelle
campagne d'agitation coordonnée de ses collectifs locaux pour dénoncer
la dégressivité des allocations chômage, campagne qui prend
la forme d'occupations rapides d'ANPE ou d'antennes Assedic à travers la
France. Le climat est encore agité quand la CGT-chômeurs relance
à Marseille sa mobilisation de fin d'année désormais rituelle,
destinée à permettre aux chômeurs qui la rejoignent pour l'occasion
de décrocher une part de ce qui reste du budget annuel des "fonds
sociaux" des Assedic. Sauf qu'en cette fin d'année 1997, on découvre
que l'existence des fonds sociaux a été remise en cause et qu'il
n'y a plus rien à redistribuer...
Du coup, de rituelle, la mobilisation
devient réelle : l'occupation des Assedic marseillaises n'est plus seulement
passagère, elle s'installe dans la durée, dans l'idée de
décrocher ce qui va alors s'appeler une "prime de Noël",
offrant aux nombreux chômeurs de l'agglomération un lieu de rencontre
et de socialisation. Les militants "associatifs" tentent de reproduire
la chose ailleurs - non sans avoir dans la foulée élaboré
une plate-forme revendicative commune - avec parfois un certain succès.
Ainsi, l'occupation d'Assedic à Arras, organisée par le collectif
AC! et par le comité d'action CGT, réussit à tenir plusieurs
semaines, créant là aussi un véritable événement
local. Car il est un autre ingrédient qui fait monter la crème :
la presse, en mal d'événements en cette période creuse de
Noël et consciente de pouvoir jouer sur une mauvaise conscience chrétienne
ravivée par la débauche de consommation des fêtes, s'intéresse
au phénomène. Ainsi contribue-t-elle à amplifier le mouvement
: localement, en faisant connaître la mobilisation à des individus
extérieurs au mouvement et en leur donnant les moyens de le rejoindre;
dans les têtes, en conférant au phénomène l'ampleur
d'un événement national. Ce qui devient alors sensible, c'est la
réceptivité (passive) de la société aux revendications
des chômeurs, au sentiment d'injustice clamé sur les ondes - une
réceptivité qui rend la carte de la répression policière
plus difficile à jouer. D'où une discrète reprise en main
du traitement médiatique par le gouvernement, accompagné d'un lâcher
de lest de 1 milliard de francs (le "fonds d'urgence sociale"). Le mouvement
va alors trouver un nouveau souffle. De janvier à début mars, les
occupations se multiplieront, en nombre et en objectifs visés, et de nouveaux
collectifs se créeront - un peu comme si la fin de la couverture médiatique
poussait le mouvement à un effort d'imagination et d'autonomie. Les premiers
signes d'épuisement n'arriveront que début mars, en partie sous
l'effet d'une répression policière plus sérieuse. Mais il
couvera encore pendant quelques mois, et les dernières braises ne s'éteindront
qu'au cours de l'année suivante.
Dans la stratégie
des "associations de chômeurs", le mouvement évidemment
change la donne en faisant évoluer le rapport de forces. Pas tant, d'ailleurs,
par l'ampleur en soi de la mobilisation (plusieurs centaines, moins sûrement
quelques milliers de nouveaux arrivants), mais par le fait qu'elle permet de focaliser
sur elles l'attention des médias. Car une des clés du succès,
à leurs yeux, c'est une habile exploitation des médias, télévisuels
surtout. Pour cela, outre des contacts stratégiques dans les milieux journalistiques
(établis à l'occasion de mobilisations antérieures), deux
conditions sont nécessaires : offrir du spectacle et s'assurer du monopole
du discours revendicatif. Pour le spectacle, les ingrédients ne manquent
pas : une certaine dose de sentiment d'injustice mal articulé, une autre
d'illégalisme et de désordre, le tout pimenté d'une pincée
de répression policière habilement mise en scène (4), et
l'audience est assurée. Quant au monopole du discours, il suffit de compter
sur la réaction instinctive du journaliste d'actualité qui, par
manque de curiosité, paresse ou simple respect intériorisé
de "l'ordre des choses", tend spontanément la perche de son micro
aux éternels mêmes individus, identifiés comme "représentants".
Mais peut-être est-ce là que le bât blesse. Car il ne suffit
pas que la presse accorde un statut de représentants à quelques
candidats à cette fonction, encore faut-il que le pouvoir les estime effectivement
capables d'encadrer les masses qu'ils ont mises en mouvement. Or la réalité
du mouvement - observée attentivement et ostensiblement par les Renseignements
généraux - ne plaide guère en ce sens.
L'adhésion
de la base à ses représentants autoproclamés ne saute en
effet pas aux yeux. La première raison en est sans doute le profond décalage
de situation matérielle concrète entre les militants candidats au
rôle dirigeant et les chômeurs en mouvement.
Ceux que l'agitation
organisée attire, ce ne sont pas les "vrais demandeurs d'emploi"
- non mobilisables car employant toutes leurs énergies à une recherche
du travail qui suppose un autocondionnement à la soumission guère
compatible avec l'esprit de la lutte - mais deux types de chômeurs en quelque
sorte "marginaux": ceux qu'une trop longue galère an rendus définitivement
inemployables et qui, le sachant, ont cessé de chercher du travail ; et,
plus nombreux encore, des précaires atypiques, qui ont organisé
leur vie en fonction de leur situation de précarité, jouant sur
une alternance de petits boulots et de périodes d'indemnisation, voire
complétant leur RMI par les petits boulots au noir qui se présentent.
Deux catégories, en somme, qui ont appris à domestiquer la peur
de lendemains incertains, laquelle, paradoxalement, mine en profondeur le monde
salarié. Et qui, par voie de conséquence, se montrent assez rétifs,
voire hostiles, aux formes d'encadrement des luttes, quand il ne s'agit pas de
militants partisans de l'action directe autoorganisée.
Pour ces nouveaux
venus, le mouvement est d'abord et avant tout une occasion de socialisation. En
effet, les occupations, surtout lorsqu'elles sont durables, permettent de s'organiser
collectivement pour la survie (manger, dormir), mais aussi pour l'avancée
de la lutte (préparation et diffusion des tracts et des affiches). Elles
sont aussi une occasion de libre discussion. A tel point que des lieux s'organiseront
pour satisfaire ces exigences, sans avoir à dépendre de l'existence
d'occupations ponctuelles : à Paris, des rencontres régulières
seront organisées à l'université de Jussieu ou la Maison
des ensembles, dans le seul but de débattre librement; dans plusieurs villes,
des squats collectifs s'ouvriront, autant pour satisfaire un besoin immédiat,
comme à Bordeaux ou à Montpellier, que par goût de l'expérience
collective, comme à Paris.
Ces nouveaux venus à l'action collective
sont donc, dans l'ensemble, assez étrangers à la dimension revendicative
du mouvement, manifestant vis-à-vis d'elle une sorte d'opportunisme proche
de l'attitude du salarié moyen vis-à-vis de la lutte syndicale en
entreprise - "si ça permet de décrocher quelque chose, c'est
toujours bon à prendre". Ce qui, là comme en entreprise, laisse
les mains libres aux prétendants encadreurs mais ne leur donne guère
de crédit vis-à-vis de l'interlocuteur.
Cette
situation de séparation entre "représentants" et "masses"
n'a donc pas empêché les premiers de mener la barque dans le sens
désiré. Simplement, il leur a fallu apprendre à gérer
la chose, en exploitant l'opportunisme des seconds. Ainsi a-t-on vu, dans les
dernières occupations organisées par "la bande des quatre",
se mettre au point un scénario bien rodé: on pénètre
dans un lieu à caractère plus symbolique que stratégique,
on organise une rituelle prise de parole de chaque "représentant"
d'association - après s'être assuré bien sûr de la présence
de quelques journalistes et caméras - on monte une délégation
pour rencontrer la direction, laissant les troupes occuper ce temps à de
petites récupérations, et l'on négocie une évacuation
rapide contre quelque avantage immédiat - quelques liasses de tickets restaurant,
par exemple, dont la distribution sera confiée, cela va de soi, à
quelque responsable associatif...
Il convient cependant
de dire que la gestion du mouvement par les "responsables" a connu quelques
sérieux accrocs, partout où le mouvement a donné naissance
à des regroupements autonomes se démarquant plus ou moins nettement
des structures déjà en place. A Paris, les accrochages ont été
surtout verbaux. Dans les débats de la Maison des ensembles (annexe d'AC!),
c'était essentiellement la légitimité des syndicalistes (stipendiés...)
en vue d'AC! à parler (sans honte…) au nom des chômeurs qui était
contestée, beaucoup moins les méthodes et les buts poursuivis par
ces dirigeants autoproclamés qui prenaient bien soin de se réunir
dans d'autres lieux, protégés des prises de parole incontrôlées.
A Jussieu, on s'est plutôt employé à reconstruire un pôle
idéologique avec ses références propres, allant jusqu'à
théoriser l'indifférence à la dimension revendicative...
Mais en province, des conflits parfois graves, allant jusqu'à l'affrontement
physique, ont opposé des collectifs AC! à d'autres collectifs nés
sur d'autres exigences au cours du mouvement (qui pouvaient eux-mêmes se
réclamer d'AC!, comme à Bordeaux...), où ce qui était
en cause était essentiellement les méthodes manipulatrices et monopolisatrices
des militants politiques tenant les rênes des collectifs déjà
constitués. Signalons aussi la naissance d'une "coordination nationale
des collectifs autonomes", qui pendant plus d'un an a organisé plusieurs
rencontres nationales où se mélangeaient débats, actions
de récupération collectives et moments de fête, mais qui,
reconnaissons-le, n'a pas poussé le désir d'autonomie jusqu'à
chercher sérieusement à concevoir une forme d'auto-organisation
capable de donner au mouvement une cohérence et une structuration propre
qui lui aurait permis de survivre à ce moment de fièvre. Comme pour
le mouvement "autonome" de la fin des années 70, l'autonomie
sera pour elle surtout une question d'identité, masquant une réelle
dépendance vis-à-vis des structures qu'elle conteste.
Pour
quels résultats ?
Pour qui le "débordement"
des organisations candidates à l'encadrement du mouvement n'est pas une
fin en soi, mais tout au plus un indice, le bilan d'un mouvement doit se faire
d'abord et avant tout en fonction de ses ambitions affichées. Force est
donc de prendre en considération les revendications formulées dans
les tracts mis en circulation.
L'essentielle de ces revendications était
une demande de sous pour les plus bas revenus : "revalorisation des minima
sociaux de 1500 F", donc "pas de revenu inférieur à 4000
F" - y compris pour les jeunes de moins de 25 ans, jusqu'à présent
exclus du RMI. Bien que plus fruit du calcul stratégique des appareils
que de l'exigence de justice et d'égalité de la base (exigence difficile
à traduire en chiffres), cette revendication n'a pas obtenu le moindre
début de concrétisation. Impossible en effet de considérer
comme allant dans ce sens la revalorisation symbolique du RMI - simple rattrapage
de l'inflation, de l'aveu même de Jospin - ni le 1 milliard de francs débloqué
: outre son montant ridicule (333 F par chômeur officiel), cette somme était
destinée à être attribuée au cas par cas, par des commissions
ad hoc. Ce qui délimitait bien le cadre du négociable : celui de
l'assistance, du "secours" attribué en fonction des critères
(obscurs, bien sûr) des services sociaux.
La raison de ce blocage gouvernemental
n'est pas à rechercher ailleurs que dans les justifications avancées
par le premier ministre : pas question que les minima sociaux fassent concurrence
aux bas salaires. Autrement dit, pas question, malgré la "priorité
à la lutte contre le chômage" affichée depuis des années
par le gouvernement, de faire quoi que ce soit qui puisse remettre en cause l'utilité
du chômage pour les détenteurs du capital. Etant donné l'importance
de l'enjeu, on comprend bien que seul un rapport de forces impressionnant aurait
pu contraindre le gouvernement à un recul dans ce domaine. Et, à
supposer que les responsables de la bande des quatre aient cru cette revendication
jouable, l'illusion s'explique moins par une surestimation de leurs capacités
de mobilisation que par leur proximité émotionnelle avec la gauche
au pouvoir, qui leur interdit de comprendre la véritable fonction de celle-ci
(les Verts, qui ont porté la revendication dans l'arène politique,
jouant un rôle moteur dans cet aveuglement volontaire) (5).
En faisant
ces quelques concessions mineures, le gouvernement n'a pas fait que céder
à la pression: il a aussi habilement délimité le cadre du
possible pour l'action revendicative des chômeurs. Le message a été
bien compris, par certains tout au moins, puisque l'on voit depuis deux ans renaître
en décembre à Marseille, avec tentatives de relais dans d'autres
villes, une mobilisation d'une dizaine de milliers de chômeurs réclamant,
en toute modestie, une "prime de Noël"... que Papa gouvernement
accorde sans trop se faire prier - logique qui résiste désormais
à tous les efforts de radicalisation.
C'est dans
le même sens qu'il faut comprendre la réponse gouvernementale à
l'autre revendication fondamentale du mouvement : la représentation des
chômeurs au niveau institutionnel. Malgré de multiples audiences
accordées par divers hauts responsables ministériels, voire par
Mme Aubry en personne, rien n'a été accordé qui remette en
cause l'exclusivité des confédérations syndicales dans la
représentation du monde salarial. En revanche, une porte a été
ouverte à la présence des "orgas de chômeurs" dans
quelques commissions destinées à permettre une meilleure coordination
des services chargés de la gestion des chômeurs et, plus généralement,
des personnes dépendant de l'assistance de l'Etat (ex.: commissions d'attribution
du FUS, commissions de suivi ANPE). Une façon, en somme, de mettre un peu
d'huile dans des rouages encore mal ajustés...
Et, pour désamorcer
toute éventualité de réorganisation d'un pôle contestataire
sur la question du chômage, des moyens vont être concédés
aux associations de chômeurs pour leur permettre de mieux jouer leur rôle
d'encadrement. Comment en effet expliquer autrement l'octroi, quelques mois après
la retombée du mouvement, de subventions non négligeables aux quatre
"orgas de chômeurs" ? Formation aux chômeurs, structures
de travail alternatives, travail humanitaire associatif... pauvres en révolte,
travaillez au développement du "tiers secteur", l'injustice sociale
vous semblera moins rude !
On s'aperçoit donc, au
sortir de ce mouvement, que celui-ci a contribué à faire émerger
un nouveau groupe d'acteurs, les "associations de chômeurs", dont
le rôle est de combler une carence de la représentation sociale,
et qui devrait trouver sa place sur la scène institutionnelle à
condition de respecter celle que veulent bien lui laisser les acteurs déjà
en scène, à savoir la représentation d'un groupe social maintenu
en marge du marché du travail et des structures qui en assurent la bonne
marche, et dont la survie dépend de l'Etat. S'il veut bien se satisfaire
de ce rôle, ce groupe d'acteurs dispose d'un terrain quasiment vierge à
occuper : celui de la cogestion de l'assistance. Le système d'assistance
a en effet besoin d'être modernisé pour prendre en compte l'existence
durable d'une catégorie sociale dont la fonction est précisément
d'être improductive... et pauvre. Un certain recul de la logique de la charité
au profit d'un encadrement systématique est sans doute nécessaire,
ce que la gauche au pouvoir s'emploie à faire sous couvert de la notion
de "droits". Comme le prouvent l'introduction en 1998 d'une "loi
contre l'exclusion sociale" qui fixe en fait des règles de gestion
de l'exclusion et, plus récemment, l'instauration d'une "couverture
maladie universelle" qui instaure un système parallèle d'assurance
maladie à destination des pauvres, que l'on pourra ainsi systématiquement
mettre en fiches.
Le mouvement des chômeurs a sans doute fait comprendre
aux gouvernants qu'une œuvre de pacification était nécessaire pour
prévenir les risques d'explosion qui, sans elle, ne peuvent que se multiplier
dans une société en voie de polarisation sociale (et ne disposant
plus vraiment de l'amortisseur de la solidarité familiale). Les militants
de la "lutte contre le chômage et l'exclusion" seront sans doute
appelés à contribuer à cette œuvre essentielle...
S'y
prêteront-ils facilement ? Cela dépend sans doute de l'impact sur
les esprits de la critique subversive qui s'est aussi exprimée dans le
mouvement, alimentée par un puissant sentiment d'injustice. Et surtout
de la validité des pistes pratiques que le mouvement a explorées
pour permettre à une solidarité active de l'ensemble des couches
prolétaires de prendre forme.
LA
VOLONTÉ DE SUBVERSION ET SES MANIFESTATIONS CONCRÈTES
Le
mouvement des chômeurs s'inscrit incontestablement dans la vague de mobilisations
née avec le mouvement de décembre 1995, qui a vu deux millions de
salariés descendre dans la rue, et qui a marqué une rupture avec
de longues années d'offensive capitaliste sans résistance. Après
le mouvement des sans-papiers, alors en phase descendante, il a à son tour
placé sur le devant de la scène une des catégories du bas
de l'échelle sociale, celles dont le mouvement de 1995 semblait avoir ignoré
les exigences, ne s'intéressant, à l'apparence, qu'à la défense
des intérêts des travailleurs du secteur public. Mais il me semble
que le mouvement des chômeurs présente une différence de taille
avec les mouvements qui l'ont précédé ou suivi. Les exigences
dont il est porteur (travail ou revenu pour tous) sont fortement antagoniques
au système (peu nombreux ou bien indemnisés, les chômeurs
ne peuvent jouer le rôle d'épouvantail pour l'ensemble du monde salarié
dont a besoin la classe capitaliste), alors que ses forces sont faibles (les chômeurs
sont une catégorie instable et sans pouvoir de blocage). A la différence
des mouvements antérieurs, il était donc fort improbable que le
mouvement des chômeurs débouche sur une concession significative
du gouvernement : il ne pouvait que s'éteindre ou gagner en force de subversion
jusqu'à contaminer d'autres pans de la société. Il s'est
éteint, et relativement vite : à l'automne suivant, les tentatives
de relance ne pouvaient plus compter qu'avec des forces amoindries, et il ne s'agissait
déjà plus d'autre chose que de nouvelles campagnes d'agitation militantes.
Force est donc d'interroger les schémas et stratégies de subversion
qui ont joué un rôle dans ce mouvement, et d'en comprendre les limites.
J'essaierai ici de les prendre en examen l'un après l'autre, même
si c'est l'enchevêtrement de toutes ces tensions différentes qui
permet de parler de mouvement.
La lutte des "sans"
Avant
même le mouvement de 1995 étaient apparus des regroupements contestataires
décidés à se battre aux côtés d'une frange croissante
de la population touchée par la misère : Droit au logement (DAL),
d'abord, issu d'un mouvement d'occupation de logements, Droits devant!! (DD) ensuite,
né dans le sillage du DAL pour porter dans l'arène politique la
question des "droits fondamentaux". L'idée de ces regroupements,
qui ont attiré à eux des individus qui souvent avaient fait leurs
armes au PC ou chez les maos avant de "décrocher" du militantisme,
était de se faire "la voix des sans-voix", autrement dit de mener
une bataille politique avec (ou au nom...) des plus pauvres. Avec l'apparition
du mouvement des sans-papiers, ceux qu'on appelait auparavant les exclus sont
peu à peu devenus "les sans" : sans logement, sans droits, sans
papiers... et bientôt, lorsque naîtra le mouvement des chômeurs,
sans emploi.
Les "actions" organisées par ces regroupements
sont fondées sur un mélange d'action directe et de médiatisation,
celle-ci servant à compenser les faiblesses de celle-là, en exploitant
la fibre égalitariste, certains préfèrent dire "républicaine",
d'une partie de la population française. Le discours consiste essentiellement
à dénoncer le caractère scandaleux de la misère dans
une société riche. Mais ces méthodes atteignent vite leurs
limites : le médiatique réclame toujours du neuf et le sentiment
du scandaleux s'émousse... Ainsi le DAL s'installe-t-il peu à peu
dans une proximité malsaine avec les organisations caritatives pour parvenir
à rester "le" pôle de la lutte des mal logés, tandis
que DD s'épuise dans un soutien aux luttes des sans-papiers fondé
sur l'accompagnement individuel dans les méandres administratifs.
Le
mouvement des chômeurs ne pouvait que redonner une nouvelle impulsion à
cette logique d'agitation médiatisée, grâce à sa forte
légitimité. La réalité ou le risque du chômage
touche en effet directement une énorme partie de la population - chacun
à un enfant, un frère, un cousin, un ancien collègue au chômage,
chacun en connaît de près ou de loin les effets ravageurs et les
craint. Plus que les "fonctionnaires", plus que les "immigrés
clandestins", les chômeurs sont donc d'emblée légitimés
à se faire entendre. C'est sans doute ce qui explique la grande disponibilité
des médias à couvrir au départ leurs agitations.
On ne
s'étonnera donc pas qu'ait été abondamment exploitée
dans le mouvement des chômeurs la méthode rodée par le DAL
: occupation + médiatisation. Mais pour que celle-ci se montre efficace
dans la durée, il aurait fallu que le mouvement fasse autant preuve d'imagination
que l'exploitation médiatique du spectaculaire a besoin de neuf... Et surtout
qu'il parvienne à donner une consistance politique à la légitimité
immédiate dont il bénéficiait, pour pouvoir résister
à la contre-offensive idéologique du gouvernement. Lorsque Jospin
refuse d'augmenter sérieusement les minimas sociaux pour, dit-il, ne pas
faire d'affront à ceux qui gagnent à peine 2000 F de plus à
la sueur de leur front, il joue sur un des fondements de la morale ouvrière
: le revenu se mérite par l'effort - autrement dit, le travail reste le
seul critère juste de la répartition de la richesse collectivement
produite.
Le jeu de la légitimité médiatisée est
donc fragile, facile à contrer par le pouvoir, surtout dans un pays dont
la presse et les médias ne brillent pas par leur indépendance d'esprit.
Les chômeurs l'ont appris à leurs dépens. Et il se pourrait
bien que la leçon ait aussi servi à d'autres.
L'unité
chômeurs-salariés dans la lutte contre le chômage
L'idée
que, le chômage étant un mal touchant l'ensemble des secteurs salariés,
la lutte contre le chômage peut arriver à unifier chômeurs
et salariés était l'une des idées forces à l'origine
de la création d'AC! Pendant cinq ans, l'"unité chômeurs-salariés"
y a été sans cesse proclamée, et les militants ont cru pouvoir
lui donner réalité en articulant la revendication d'un revenu décent
pour tous à celle d'une réduction du temps de travail massive et
sans contrepartie, mais aussi en s'assurant de la représentation au sein
d'AC! des diverses forces syndicales en rupture avec les grandes confédérations,
garantes en quelque sorte de la participation du monde du travail à cette
lutte contre le chômage. Certes, des frictions ont plus d'une fois laissé
apparaître des différences d'exigences et d'intérêts,
mais le fonctionnement même d'AC!, fondé sur l'idée que les
divergences doivent se résoudre par le consensus et ne méritent
pas de trouver une expression organisée, a empêché que soit
prise la mesure réelle de ces divergences (6). C'est donc le mouvement
qui va se charger de soumettre le mythe fondateur à l'épreuve de
la réalité. Et, reconnaissons-le, il a mal résisté.
Si
les syndicats SUD, FSU, SNUI, CNT et le courant CFDT en lutte n'ont à aucun
moment refusé leur soutien officiel aux chômeurs, il ne semble pas
qu'au-delà d'une présence affichée dans les manifestations
et d'un soutien logistique (mise à disposition des photocopieuses, par
exemple), ils aient investi beaucoup de forces dans le mouvement (à l'exception
de la CNT, présente par endroits à travers ses "comités
d'action chômeurs"). A cela, plusieurs explications : ce soutien affiché
répondait sans doute d'abord à un souci de visibilité, dicté
par une logique stratégique interne au monde des appareils syndicaux (d'ailleurs,
dès l'automne 1998, lorsque certains tenteront péniblement de relancer
le mouvement, on remarquera des défections syndicales jusque dans les campagnes
organisées par AC!, au moment le rapprochement entre CGT et CFDT contraint
les autres syndicats à revoir leurs stratégies).
Mais c'est aussi
l'idée d'unité à la base entre chômeurs et salariés
qu'il a fallu réinterroger. Tant qu'il s'est agi, en effet, de mobilisations
pensées et mises en œuvre par des militants, syndicaux le plus souvent,
un peu sur le modèle de l'agitation syndicale, les chômeurs sont
restés de fait en position subalterne, se contentant du rôle de troupes.
Mais, à l'hiver 97-98, ils arrivent en nombre suffisant pour devenir réellement
acteurs de leur mouvement. Du coup, les priorités changent : la satisfaction
des besoins immédiats - se loger, se nourrir à l'œil, mais aussi
retrouver des lieux de sociabilité - passe au premier plan. Sur le plan
revendicatif, l'articulation avec le monde du travail que représentait
la RTT passe aux oubliettes. Par réaction, les "vieux" militants
salariés s'éloignent, et, là où ils refusent de céder
le terrain, entrent ouvertement en conflit avec les nouveaux venus. Le fossé
se creuse. Du coup, quand des formes d'auto-organisation se mettent en place dans
des lieux de vie, comme à Montpellier, Bordeaux ou Nantes, les chômeurs
se retrouvent abandonnés, condamnés à assurer seuls le soutien
aux plus galériens d'entre eux (SDF, drogués...), les militants
ayant déserté - quand ils n'ont pas, comme cela s'est vu, mené
un discret travail de sape.
De même, dans toutes les occasions où
des chômeurs ont fait irruption sur des lieux de travail, on a pu observer
de sérieuses tensions entre salariés et chômeurs. Ceux-ci
- qui, je le répète, étaient plus des exclus du travail ou
des précaires atypiques que de "vrais" demandeurs d'emploi -
trouvaient en effet dans les mobilisations l'occasion de laisser s'exprimer leur
rage et leur dégoût de l'ordre établi, ce qui se traduisait
souvent par des comportements "malséants" - grafittage, petits
larcins, insultes - qui ne pouvaient que choquer les salariés, pour qui
le lieu de travail est aussi un lieu de vie collective soumis aux règles
formelles du respect mutuel.
Actuellement tend à se répandre
chez les militants de la lutte contre le chômage l'idée que l'articulation
entre chômage et salariat est en train de se faire par le biais de la précarité
: les précaires, parce qu'ils sont tantôt chômeurs, tantôt
salariés, seraient en position d'articuler les revendications des salariés
et des chômeurs. Bien que moins strictement subjectif, ce point de vue n'a
pas (encore ?) trouvé confirmation dans la réalité des mobilisations
: entre les collectifs de précaires enracinés dans le rapport salarial
et les collectifs de chômeurs-précaires agissant sur le terrain social,
la jonction s'est faite difficilement. La référence des salariés
à statut précaire - qu'il s'agisse des non-titulaires de l'Education
nationale, des précaires de Beaubourg, de la BNF... - est resté
le secteur, et l'objet de leur lutte, la discrimination statutaire dont ils sont
victimes. Et les occasions de rencontre entre les précaires du dedans et
ceux du dehors, fournies à deux reprises par la coordination des travailleurs
précaires (7), ont surtout fait ressortir des heurts de sensibilité.
S'il
est donc une leçon que l'on peut tirer de ce mouvement, c'est que l'unité
de classe entre chômeurs et salariés ne se proclame pas : les conditions
objectives de vie ne se rejoignent pas, pas plus que les expectatives. Des conjonctions
fortes, inscrites dans les réalités matérielles des intérêts,
restent à trouver.
La subversion par le refus
du travail
Le mouvement a été aussi une
occasion de regroupement pour des individus jusque-là isolés, tentés
de donner une valeur positive à leur position en marge du monde du travail.
Dans la plupart des villes de province, ils se sont insérés dans
les collectifs existants. Mais à Paris, un pôle important s'est formé
autour des rencontres organisées à la faculté de Jussieu
après la fin de l'occupation de l'Ecole normale supérieure, donnant
naissance à un pôle de chômeurs "intellectualisés"
attirés par la possibilité d'articuler une pratique subversive à
un discours radical. L'apprentissage du débat collectif a sans doute été
le plus beau succès de cette entreprise.
Le pôle "Jussieu"
- le plus gros des regroupements nés dans le mouvement et revendiquant
leur autonomie par rapport aux orgas de chômeurs officielles - s'est montré
inventif en pratiquant des "balades" mi-organisées mi-improvisées,
consistant à faire des visites surprises dans quelques lieux symboliques
de l'oppression capitaliste pour y porter la contestation ou à organiser
des actions collectives de "récupération" dans les restaurants
ou certains magasins (8). Sur le plan idéologique, il a travaillé
à redonner une valeur positive au choix du non-travail, assimilant refus
du travail à radicalité.
Il est difficile d'interroger la validité
théorique d'une telle position, car, répondant surtout à
un besoin d'identité collective positive, elle a toujours été
posée en axiome. En fait, le critère du refus du travail leur a
essentiellement permis d'établir une ligne de démarcation vis-à-vis
des orgas de chômeurs, classées indifféremment dans le camp
des "idéologues du travail" - catégorie recouvrant aussi
bien ceux qui réclament un travail comme condition de la réintégration
sociale et de la dignité (position des comités CGT), un travail
et, en attendant, un revenu décent (position de l'APEIS), ou un revenu
décent pour tous, indépendamment de toute condition de retour au
travail (position dominante au sein d'AC!). Mais personne parmi eux ne semble
s'être sérieusement demandé comment le refus du travail peut
se justifier aux yeux de travailleurs surchargés de boulot et mal payés,
mais payant les cotisations qui permettent aux partisans du refus du travail de
survivre...
Au fond, le pôle Jussieu semblait dire : le point de vue
des travailleurs ne nous intéresse pas, puisqu'ils ont le tort de vouloir
travailler... Cette indifférence vis-à-vis des autres prolétaires
- perceptible aussi dans leur refus de principe de tout contact avec les médias
quels qu'ils soient et qu'elles qu'en soient les modalités, ainsi qu'à
l'évitement du débat revendicatif, le tout compensé par une
survalorisation de la sociabilité - a pourtant marqué les limites
de l'expérience. L'afflux de personnes nouvelles s'est assez vite tari,
et, quand les "actions" organisées ont fini par déclencher
la répression (l'absence d'encadrement "officiel" et de couverture
médiatique les y exposant directement), les premiers tiraillements sérieux
ont vu le jour. Les différents squats collectifs issus du regroupement
de Jussieu finiront, dans l'année qui suivra, par mourir l'un après
l'autre de leurs propres conflits internes (9). Du pôle parisien des "chômeurs
heureux", seul le TCP résistera, poursuivant son activité,
amorcée bien avant le mouvement, d'auto-organisation des chômeurs
par l'entraide et la contestation des formes de contrôle social qui pèse
sur eux.
Parmi ceux qui font le choix de ne pas s'insérer sur le marché
du travail, il est cependant un groupe qui tente d'articuler ce choix à
une recherche de transformation sociale : les partisans du "revenu garanti".
Ceux-ci, rassemblés à Paris dans le collectif Cargo, ont choisi
comme terrain d'intervention AC!, mais leurs productions théoriques séduisent
un public bien plus large, notamment dans les milieux intellectuels qui discutent
de "fin du travail", "tiers secteur", "nouveau contrat
social"... , avec lesquels ils partagent la fausse naïveté de
ceux qui évacuent de leur raisonnement la réalité des intérêts,
du pouvoir et du rapport de forces entre les classes. Chez les "garantistes"
aussi, l'impasse sur la question de la répartition du travail est totale
- qu'il s'agisse du travail salarié dans le cadre capitaliste d'aujourd'hui
ou du seul travail socialement nécessaire (la part de la contrainte) dans
une société émancipée. Ce qui soulève un petit
problème théorique, mais surtout un gros problème stratégique.
Car il faut pouvoir dire par quels moyens on la fait valoir, cette belle idée
du revenu garanti. Est-ce par la lutte collective des travailleurs unis ? Alors
on ne peut faire l'impasse sur la question de la répartition du travail.
Car je doute que la "créativité" revendiquée d'individus
qui font tout pour marquer leur extériorité au rapport d'exploitation
qui fonde l'identité du prolétaire suffise à déclencher
la solidarité des esclaves du salariat. Faire valoir, comme le font les
militants d'AC!, qu'un revenu de substitution pour les chômeurs qui se rapprocherait
du SMIC serait le meilleur moyen de faire échec aux bas salaires est déjà
plus convaincant, mais de toute évidence pas assez pour que se mettent
en mouvement pour d'autres des masses qui craignent déjà de se battre
pour elles-mêmes. Est-ce alors par la voie gouvernementale ou parlementaire
? Le problème reste le même, car sans mouvement social massif, pourquoi
cette solution s'imposerait-elle d'elle-même ? Il ne reste donc plus qu'à
convaincre les capitalistes... ce que des théoriciens du revenu garanti
comme Negri ou Moulier n'hésitent pas à tenter de faire (10). Pas
tout à fait sans succès d'ailleurs, puisque certains patrons commencent
à trouver du charme à cette idée, sous sa version libérale
de "revenu d'existence". Et pour cause : en venant éventuellement
en complément des revenus salariaux, celui-ci serait la porte ouverte à
la suppression du SMIC et à la généralisation des très
bas salaires...
La lutte pour la satisfaction des
besoins fondamentaux
L'impact du mouvement des chômeurs
dans l'opinion a permis que se prennent aussi des initiatives sur la base de regroupements
militants circonstanciels, portés par l'idée que ce moment d'agitation
sociale élargissait soudain l'horizon du possible. Ces initiatives, qui
n'avaient rien de préconçu, ont été à mes yeux
les plus riches de sens. Elles sont difficiles à recenser car elles ont
été assimilées aux initiatives des associations ou collectifs
de chômeurs constitués, mais il est certain qu'elles ont été
bien plus nombreuses en province, où les réseaux militants locaux
sont spontanément plus transversaux qu'à Paris, victime de la proximité
des batailles d'appareils. Je m'arrêterai toutefois sur une expérience
parisienne que je connais bien : l'occupation de l'agence EDF du boulevard Barbès.
Cette
occupation a été organisée par un groupe de militants, contactés
par le groupe AC! local qui bénéficiait de contacts établis
sur le quartier à l'occasion du mouvement de décembre 1995 puis
du soutien aux sans-papiers de l'église Saint-Bernard. Il s'agissait essentiellement
au départ de militants salariés, mais très vite s'est joint
au groupe des chômeurs du quartier ou déjà engagés
dans le mouvement. L'occupation, qui a duré huit jours, a été
tenue de jour par les chômeurs, la jonction avec les salariés se
faisant le soir, dans le cadre de l'AG quotidienne puis des débats informels.
Cette forte dynamique unitaire a permis la mise en commun spontanée des
savoir-faire militants et une volonté de faire obstacle à toute
manifestation d'esprit de chapelle, tout en encourageant des pratiques de démocratie
de base (toute discussion avec le directeur se faisait avec l'ensemble des occupants,
et toute décision importante se prenait en AG). Mais elle était
aussi servie par le fait que l'occupation était motivée par un objectif
concret précis, à la mesure des forces réelles : obtenir
du directeur d'agence l'arrêt des coupures d'électricité imposées
brutalement aux foyers trop pauvres pour payer leurs factures (des factures souvent
très élevées, en raison de la politique du tout-électrique
encouragée par EDF avec la complicité des promoteurs ou des propriétaires
sans scrupules). En ceci, elle rompait avec la logique essentiellement symbolique
et agitatoire des occupations antérieures, et échappait aux calculs
stratégiques des appareils des organisations de chômeurs, absents
de la lutte.
Ce contexte a permis que s'imposent quasiment d'elles-mêmes
des pratiques nouvelles, toutes motivées par une volonté d'élargissement
: la recherche systématique de contact avec la population locale confrontée
à la pauvreté (nous avions imposé que l'agence reste ouverte,
ce qui permettait d'entrer en contact avec les personnes venues tenter de négocier
un report de paiement, et de prendre ainsi toute la mesure du problème)
et la recherche de liens avec les salariés de l'entreprise concernée
(difficile, il est vrai, en raison de la mise à distance des salariés
de l'agence et de la prise de distance de fait de la CGT-EDF, syndicat majoritaire
mais ouvertement cogestionnaire). Dans les contacts avec les journalistes venus
sur place (étrangers surtout, les médias français s'autocensurant
pour ne pas avoir à renoncer à la manne publicitaire d'EDF), toujours
dans le souci de ne pas faire le choix du repli sur soi, nous avons tenté
de négocier la manière de filmer et de poser les questions.
Signalons
une autre initiative prise dans le sud de Paris, plus brève mais présentant
une certaine similitude avec la précédente : un réseau militant
de quartier héritier de contacts établis lors du mouvement de décembre
1995, dans lequel étaient présents des militants syndicaux de l'hôpital
Pitié-Salpêtrière, a organisé un rassemblement dans
l'hôpital afin de remettre en cause le traitement discriminatoire réservé
aux malades non couverts par l'assurance maladie et le refus de soins parfois
opposé aux sans-papiers. Une confrontation directe a alors pu être
organisée entre chômeurs et salariés d'un côté,
autorités de l'hôpital de l'autre, où toute la rage des victimes
du manque de soins s'est exprimée sans médiation, et qui a rapidement
débouché sur un engagement écrit du directeur.
Ces expériences
montrent que, pour la défense des intérêts des couches prolétaires
tenues en marge du monde du travail, d'autres méthodes que syndicales sont
possibles. Des luttes peuvent se mener pour la satisfaction des besoins fondamentaux
de tous en s'appuyant sur une conjonction de forces organisées sur le quartier
et dans les entreprises concernées. A une échelle significative,
une telle conjonction pourrait ouvrir des perspectives nouvelles. Aux collectifs
de chômeurs elle pourrait permettre de sortir du piège auxquels ils
sont régulièrement confrontés lorsqu'ils cherchent à
obtenir des résultats concrets pour ceux dont ils prennent la défense
: se voir contraints d'accepter, parfois même de proposer, un traitement
spécifique pour les pauvres, entérinant par là la mise en
place d'un système de gestion de l'exclusion. Aux salariés elle
pourrait offrir, par la solidarité active envers les plus pauvres, un moyen
de sortir des impasses dans lesquelles les luttes sectorielles ou catégorielles
se trouvent souvent engagées à une époque où l'offensive
capitaliste tend à imposer sa logique marchande à tous les niveaux
d'organisation de la société. Deux exemples au moins de ce possible
ont été mis en lumière dans le cadre du mouvement des chômeurs,
même s'il s'agit en l'occurrence de conjonctions manquées.
Les
chômeurs en lutte contre les coupures d'électricité dans les
foyers ont cherché à faire la jonction avec la lutte des salariés
d'EDF contre la privatisation. S'ils ne s'étaient heurtés au poids
interne de la CGT, qui n'a pas hésité à renoncer à
s'opposer à la restructuration d'EDF contre le maintien du statut spécifique
des agents, une vraie bataille contre la logique marchande d'EDF aurait peut-être
pu se mener, associant la notion de service public non plus à la simple
défense de l'entreprise publique, mais à la satisfaction égalitaire
d'un besoin essentiel, sous des formes respectant l'environnement et la vie des
générations futures (d'où une articulation avec la lutte
antinucléaire) (11). Quant à la lutte des chômeurs pour l'accès
aux transports publics, elle aurait pu - si les militants syndicaux avaient voulu
prendre au sérieux le discours sur la gratuité des transports pour
tous tenu par certains "marginaux" du mouvement des chômeurs,
mais aussi si les stratèges des orgas de chômeurs n'avaient pas constamment
usé de l'argument de l'urgence pour orienter la mobilisation vers des transports
gratuits pour les chômeurs - rejoindre la lutte des cheminots contre les
agressions dont ils sont parfois victimes, permettant un dépassement de
la logique sécuritaire (et de fait policière) dans laquelle ils
tendent à s'enfermer.
Si la combativité et la tension vers l'unité
ont manqué pour rendre ces conjonctions possibles, il n'est pas interdit,
au regard des luttes récentes des salariés en France, de tenter
une hypothèse plus optimiste. Dans les grèves qui agitent les hôpitaux
depuis novembre dernier, l'on voit progresser une réflexion sur les conséquences
de la logique de rentabilité que le pouvoir impose aux hôpitaux :
la carence d'effectifs, la précarisation et la flexibilité du travail
ne sont pas seulement dénoncées en tant que sources de détérioration
des conditions de travail, mais aussi des soins dispensés aux malades.
De même, dans la lutte du milieu enseignant contre la réforme Allègre,
la dénonciation de la précarité et du manque de professeurs
s'articule à une dénonciation de la version libérale de l'enseignement
qui prétend, pour faire court, substituer la formation à la culture.
Et l'on sent que, à la différence du mouvement de décembre
1995 où la réaction du secteur public s'était organisée
d'abord sur la base de la défense du statut, dans ces mobilisations récentes
la défense d'une certaine idée du "service public" n'est
plus en position subalterne, ne sert plus à légitimer aux yeux de
tous des revendications d'abord sectorielles. Que l'inquiétude est plus
profonde, mais aussi plus vive la volonté de trouver la voie qui permettrait
d'organiser le service au public selon une autre logique, une logique solidaire,
centrée sur la satisfaction des besoins essentiels de tous.
On voudrait
espérer qu'il s'agit là d'un processus de maturation qui traverse
toute la société, et dont les différents mouvements sociaux
montés sur la scène depuis 1995 ne seraient que l'expression visible,
conjoncturelle, traduisant dans le langage de leur secteur une préoccupation,
une interrogation qui, d'une manière ou d'une autre, est celle de toutes
les couches subalternes. Et, pour revenir à l'objet de notre article, que
le mouvement des chômeurs a été un moment de cette interrogation
en actes, et que ses échecs en traduisent surtout les balbutiements.
Nicole
Thé
(mars 2000)
(1) Incarnée essentiellement
par les membres de Cargo, collectif d'inspiration négrienne au jargon avant-gardiste
mais aux pratiques entristes d'un autre âge, bien que redoutables.
(2)
Quoi qu'en pense M. Bernard Friot, qui, dans un livre stimulant et discutable
mais peu discuté, Et la cotisation sociale créera l'emploi (éditions
La Dispute), nous explique en quoi l'assistance (par l'Etat) s'oppose à
la solidarité (par la cotisation salariale), les syndicats étant
à ses yeux garants de la seconde..
(3) Signalons un détail
significatif du niveau de "fétichisation" de la représentation
qui existe dans ce milieu "associatif": le MNCP conteste la légitimité
de la CGT chômeurs et d'AC! dans le rôle de représentants des
chômeurs, les considérant toutes deux d'émanation syndicale.
(4) Une partie du petit personnel des chaînes de télévision
s'y prête en fait assez volontiers, d'autant que, souvent précaire
et sous-payé, il peut trouver à la couverture de ces événements
un petit goût de vengeance, n'ayant pas moyen de se défendre lui-même
collectivement. Et si cela transparaît aussi peu à l'écran,
on le doit surtout à la censure de fait exercée par les journalistes
hiérarchiques, garants d'une information "responsable".
(5) Un bel exemple de cette proximité inavouée a été
l'organisation de la dernière manifestation du mouvement, en mars 1998,
où la "bande des quatre" emmènera le cortège devant
l'Assemblée nationale où se discutait la première version
de la loi sur les 35 heures, ce qui permit à la presse de dire qu'il s'agissait
d'une manif de soutien au gouvernement.
Signalons que toutes les "perversions"
de cette loi prétendant faire valoir une vieille revendication ouvrière
par voie institutionnelle, en dehors de tout contexte de lutte - promotion de
la flexibilité sous des formes multiples, frein à la progression
salariale et surtout mise à mal du socle juridique commun à l'ensemble
des salariés par la promotion des accords d'entreprise - étaient
déjà repérables et en partie repérées à
l'époque.
(6) Cette recherche de consensus, qui alimente un
vrai souci d'unité dans la différence lorsqu'elle se fait à
une échelle restreinte, est, à l'échelle des rencontres nationales,
source de toutes les manipulations : les débats y prennent la forme d'une
succession de prises de parole où la simple réflexion individuelle
est traitée de la même manière que la prise de position d'un
collectif local, et où la conclusion censée traduire le consensus
est tirée... par la personne qui préside aux débats (installée
dans cette position par qui ? Mystère...). Il n'est peut-être pas
inutile de signaler que cette forme d'organisation désorganisée
semble s'être imposée dans nombre de situations de lutte de longue
haleine depuis que le centralisme démocratique n'est plus au goût
du jour. Mais on est là encore loin d'une pratique de démocratie
de base (à moins de considérer que la base est constituée
des plus informés, des plus habiles et des plus médiatiques des
militants...).
(7) Née fin 1997, elle a cherché à organiser
le soutien réciproque entre collectifs de précaires constitués,
et a servi de lieu de rencontre à nombre de précaires isolés.
Plus que des initiatives propres, elle a surtout réussi à impulser
un travail de "recensement" et un fructueux débat interne. Elle
a publié un numéro du journal Tsunami. Adresse e-mail : Coord.Travailprecaire@wanadoo.fr
(8)
On en trouvera des récits détaillés dans Le Lundi au soleil,
publié aux éditions L'Insomniaque.
(9) Processus qui,
par bien des aspects, rappelle celui des années de l'après-68 français,
où l'échec de la rupture par la lutte unitaire des prolétaires
avait encouragé l'idée d'une rupture par le choix de la marge (le
thème du retour à la terre est d'ailleurs réapparu ici ou
là vers la fin du mouvement) - avec cependant une bien plus forte dose
d'opportunisme, à l'image de l'époque que nous vivons.
(10)
Comme le montre bien dans son Economie de la misère (éd. La Digitale)
Claude Guillon, dont la belle verve critique s'épuise malheureusement dès
qu'il s'agit de formuler une perspective différente de celle avancée
par ceux qu'il démolit. Je ne vois guère en effet comment le "désir"
peut servir de perspective collective
(11) Ce qu'a tenté de faire
le "collectif Barbès", héritier de l'expérience
de l'occupation de l'agence Barbès, en lien avec des militants de CNT-Energie
et SUD-Energie. On peut s'informer de ses tentatives en lisant le seul numéro
de son journal Haute Tension ou l'article "Le collectif Barbès se
raconte", à paraître dans le supplément "Précarité"
du Monde libertaire de mai 2000. E-mail du collectif : Barbes@malang.remcomp.com
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